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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/383

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Dix minutes après, les quatre hommes franchissaient la ligne des faisceaux ; Georges échangeait, cent mètres plus loin, le mot de ralliement avec une sentinelle et faisait signe à Mohiloff et à Brochin de rester quelques pas en arrière.

Ce dernier était de fort méchante humeur d’avoir été réveillé. C’était un homme au regard sournois, au front bas, à la démarche traînante, et quand il fut seul avec Mohiloff, il se répandit en invectives et en réflexions grossières.

Silencieux, le géant ne sourcilla point.

En avant d’eux, Georges Cardignac et le sergent Pépin causaient à voix basse.

À quelque distance de la touffe de bambous, l’officier s’arrêta :

— Brochin ! appela-t-il.

Lentement, le soldat s’approcha, l’œil mauvais.

— Donnez votre fusil au sergent et conservez votre baïonnette.

Des mots d’indiscipline montèrent aux lèvres de Brochin ; mais, sous le regard fixe et volontaire de son lieutenant, il obéit.

— Maintenant, suivez-moi !

Quand ils ne furent plus qu’à quelques pas des bambous, le sergent et Mohiloff suivant de près :

— Rousseau ! appela l’officier d’une voix forte.

Alors, les tiges s’écartèrent et le déserteur parut.

Au milieu de son visage hâve et creusé par la souffrance, son regard étincelait : il se fixa sur son ennemi et ne le quitta plus.

— Tu me reconnais, Brochin ? demanda-t-il d’une voix rauque.

Le soldat ne répondit point. Pétrifié par cette apparition, il semblait cloué au sol, regardant alternativement l’officier et son ancien camarade qu’il avait reconnu de suite…

Que lui voulait-on et pourquoi l’avait-on amené là ?

Sans doute, il était loin de s’attendre à ce qui allait suivre, car soudain ses traits se détendirent, et il ricana :

Eh ben !… de quoi ?… On s’est donc fait repincer, mon pauvre vieux ?…

Mais Georges avait hâte de dénouer cette atroce situation, et se plaçant entre les deux hommes :

— Brochin, dit-il, vous êtes un misérable ; c’est vous qui avez perdu ce