Aller au contenu

Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

patte de lapin, mais de lapin blanc. Sa vue reporta Georges à quinze ans en arrière.

— Il ne m’a pas reconnu ce matin, bien que je l’aie regardé sous le nez, déclara Pépin. Ça ne m’étonne pas du tout. Moi, il m’a vu dix secondes ; juste le temps qu’il m’a fallu pour l’ajuster, le tirer et le manquer. Vous souvenez-vous, mon lieutenant, comme il tricotait des jambes en se sauvant et en répétant : « Je porté plainte à mon consul ! » Il prononçait « mon consoul ! » Était-il cocasse !

— Si je m’en souviens ! Tu te tordais si bien de rire que tu en as oublié de recharger. Pourtant ça n’était pas drôle : les Bavarois accouraient en masse du fond de la rue. Mais que diable ce vieux brigand vient-il faire ici ? au Tonkin ?…

— Je me demande s’il vous reconnaîtrait, reprit Pépin. Comme il vous a vu de près et qu’il a passé plusieurs heures avec vous, ça se pourrait bien.

— Mais encore une fois, reprit Georges, quelle sale besogne vient faire ici ce gaillard qui, en 1870, comprenait son métier de journaliste en marchant avec les Allemands, un revolver à la main ?

Il ne tarda pas à être fixé à cet égard et sa stupeur augmenta.

Le dit Kolwitz était accrédité à l’État-Major du corps expéditionnaire comme correspondant de trois journaux anglais, et il venait chercher une relation du siège de Tuyen-Quan pour l’envoyer à ses journaux.

L’officier d’État-major, le capitaine Peiro, qui connaissait Cardignac et qui lui donnait ces détails, ajouta :

— C’est un original, à la silhouette un peu drôle ; mais il est rare, surtout par le temps qui court, de trouver un Anglais aussi sincèrement ami de la France que celui-là. Grâce à lui, nous faisons passer dans la presse anglaise les articles les plus favorables à notre politique, et cela vaut bien quelques politesses.

— Les Anglais pourtant, dans cette guerre-ci, aident les Chinois tant qu’ils peuvent, objecta Georges ; à chaque instant nous en avons des preuves.

— Nous le savons, c’est pour cela que le général en chef estime tout particulièrement celui-ci et l’admet quelquefois même à sa table : c’est une exception.