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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/46

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Voici ces pages :


Chère maman,

Je ne reviendrai pas ici sur mon départ ni sur les journées qui l’ont suivi. Je ne veux pas revenir non plus sur le deuil cruel qui nous a frappés, et qui pourtant s’atténue pour moi par le souvenir glorieux qui en émane ; car le soldat qu’était mon père est tombé comme il convient à un soldat… comme je voudrais tomber moi-même un jour ! Il n’est pas de mort plus sublime !

Mais aujourd’hui, c’est de moi que je dois te parler. Écoute-moi donc, mère chérie, et dis-toi bien que si, pendant le temps qu’a duré ma disparition, tu as bien souffert, au moins j’ai fait mon devoir comme je l’avais juré à père ; et de plus, tu dois bien penser que, dans toutes les circonstances que la guerre me réservait, toujours… toujours j’ai pensé à toi.

Comme la dernière de mes lettres qui t’est parvenue te l’a appris, j’avais confié à M. l’abbé d’Ormesson le soin d’ensevelir mon père, et alors, je lui ai fait mes adieux ainsi qu’à Mahurec, car j’avais mon serment à tenir.

Que faire ?… Deux partis se présentaient à moi : rentrer à Metz et m’engager dans l’armée du Maréchal qui est devenu, hélas ! le traître que tu sais, ou bien rejoindre l’armée qui se concentrait à Châlons, sous les ordres du Maréchal de Mac-Mahon.

Je pris ce dernier parti.

Rentrer dans Metz me répugnait. Il me semblait déjà prévoir ce qui est arrivé depuis. Et comme mon inspiration a été heureuse ! car où serais-je à l’heure actuelle !… Prisonnier là-bas, dans les chiourmes d’Allemagne, tandis qu’au moins je suis encore et toujours combattant. Du reste, en cherchant à rejoindre Châlons, je comptais bien y retrouver mon « cousin Pierre »[1], qui lui, m’aurait immédiatement pris avec lui dans son escadron.

Ce n’était pas facile et pour cause ; car non seulement il me fallait franchir la ligne d’investissement qui déjà s’allongeait ; mais encore trouver moyen de me dégager des armées du Prince Royal de Saxe et du Prince Royal de Prusse, qui (je m’en suis aperçu par la suite), se dirigeaient elles-mêmes vers Châlons.

Je me suis très vite rendu compte des nombreuses difficultés de la tâche

  1. Pierre Bertigny. Voir Filleuls de Napoléon.