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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/55

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la nuit dans une ferme ; ils étaient deux cents, paraît-il, mais la plupart ont été tués ou pris.

Alors, tâtonnant sur la route à suivre, je me rejetai sur la gauche, vers Donchery, pendant qu’au loin, dans la direction de Bazeilles, le bruit d’un engagement arrivait jusqu’à moi.

À six heures du soir, je dus m’arrêter. J’étais, tu le comprendras, ma chère maman, littéralement exténué ; et je m’assis sur une hauteur, près d’une maisonnette campagnarde, un peu en dehors de la route qui va de Sedan à Donchery.

À ce moment, les troupes allemandes affluaient. Devant moi, sur tous les chemins, et même à travers champs, le Corps bavarois, coiffé du casque à chenille, se massait, s’épaississait d’heure en heure ; les canons roulaient et une frayeur m’envahissait en regardant au loin, au fond de la vallée, la silhouette de Sedan qui semblait bas, très bas par rapport à moi. Je me demandais avec terreur si mes camarades de l’armée française allaient venir s’engloutir au fond de cet entonnoir qui me semblait à ce moment-là presque sinistre ! La nuit tomba sur ma rêverie désolée, et, la fatigue aidant, je m’engourdis ; une torpeur somnolente me saisit qui dégénéra en désir ardent de repos et de sommeil. Je me laissai bercer au bruit vague de la marche des régiments allemands, marche que l’obscurité n’arrêtait point.

Les rumeurs du combat s’étaient éteintes du côté de Bazeilles, et je restai là longtemps, le front dans la main, en proie à une obsédante impression de malaise moral, pressentant instinctivement un grand malheur,… quelque chose d’anormal et de formidable qui flottait dans l’air et me comprimait le cœur !

Soudain, comme là-bas, de l’autre côté de Sedan, des feux s’allumaient, le bruit d’une cavalerie qui approchait me fit lever la tête. Sur la route, un peloton de cuirassiers blancs émergea de l’ombre. C’étaient des colosses, coiffés de casques de fer à gouttière, rappelant les casques du Moyen Âge. Ils allaient, calmes, silencieux, au pas de leurs grands chevaux du Mecklembourg, et derrière eux, à cinquante mètres, un groupe sombre d’officiers apparut.

Ils étaient trois qui marchaient de front ; d’autres les suivaient à courte distance, et, quand ils arrivèrent à ma hauteur, je fus secoué d’un sursaut.

Je le reconnaissais bien en effet, celui qui marchait au milieu ! Je l’avais