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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/95

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et comme, du côté de Sedan, l’armée entière semblait engagée, nous n’attendions plus de ce côté ni aide, ni renfort.

À chaque maison qu’ils réussissaient à enlever, les Bavarois se livraient à des actes abominables ! J’ai vu des officiers transformer leurs hommes en incendiaires ; j’ai vu défoncer des tonneaux de pétrole, hissés de la cave d’un épicier ; puis les soldats badigeonnaient les boiseries du liquide inflammable ; ils en arrosaient des fagots, de la paille, et l’allumaient.

À onze heures, on peut dire que les trois quarts du village étaient en feu !

J’ai vu les Bavarois fusiller de malheureux habitants du pays, pris sans armes ; j’ai vu une jeune femme assommée par eux à coups de crosse !

Est-ce la guerre, cela ? Non, cent fois non, et que ce soit dans l’enivrement de la victoire ou dans la rage de la défaite, jamais ceux de chez nous ne commettront de lâchetés pareilles !

… Mais nos cartouches diminuaient… diminuaient toujours ! Et nulle espérance de voir arriver le fourgon d’approvisionnement, qui nous eût permis de remplir nos cartouchières presque vides ! Oh ! quelle rage nous envahissait ! mais que tenter contre le Destin !

Peu après, une nouvelle colonne bavaroise contournait le sud du village et nous prenait à revers.

Plus d’unité à espérer dans la défense ! Plus d’espoir de repousser cette nouvelle attaque ! et c’est alors qu’un capitaine adjudant-major, traversant sous les balles la place et la rue, vint transmettre à notre groupe l’ordre de tenter la retraite sur Sedan !

Le lieutenant Cassaigne, le front bandé d’un mouchoir (il avait été touché légèrement), lâcha une imprécation ; puis se ressaisissant :

— Tant pis ! murmura-t-il ; après tout, c’est juste ! Au moins, en essayant de leur passer sur le ventre, on pourra encore leur faire payer cher notre peau !

Puis, sans transition :

— Garçons ! fit-il d’un ton rude et rageur, assurez vos baïonnettes ! C’est pour tout de bon, vous savez !

Les hommes obéirent en silence ; le lieutenant rassembla dans les maisons voisines une centaine d’hommes, nous plaça bien en ordre ; puis, quand il nous eut conduit jusqu’aux dernières maisons qu’occupaient déjà les pre-