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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/100

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traient assez que la fatigue physique ne comptait pas pour elle.

Elle avait suivi comme une « slougia »[1] fidèle celui qu’elle aimait, ayant pour lui des attentions pleines d’une tendresse silencieuse et infinie, regardant comme un coin du paradis cette aride immensité qu’elle courait avec l’élu de son cœur.

Sa figure amaigrie indiquait seule l’affaiblissement dû aux privations, mais ses yeux brillaient d’un éclat singulier.

La mort près de lui ne l’effrayait pas.

Vers quatre heures du soir, les fugitifs avaient atteint le sommet de la grande dune.

Depuis trente-six heures, ils étaient sans nourriture et sans eau.

Mais, de l’autre côté, le morne paysage recommençait.

C’était « le ciel sans nuage et la terre sans ombre »[2] que dépeint l’intrépide explorateur allemand.

Baba inspecta longuement les crêtes nouvelles qui bordaient l’horizon.

Le soleil couchant leur donnait cette netteté de contours qui a valu aux crêtes des « ghourds » le nom de « sioufs » ou « sabres », tant le fil en est pur.

— Rien ! fit Baba secouant la tête ; je ne vois rien : c’est fini !

Et, debout, appuyé sur son fusil, il ne bougea plus.

Cependant, Zahner, après s’être étendu sur le sable, s’était relevé sur son séant.

Pour cet Alsacien corpulent, grand mangeur et grand buveur, le supplice devenait intolérable.

Des sons rauques sortaient de sa gorge desséchée ; il se mit à gesticuler, les doigts crispés, le regard égaré, en proie à cette hallucination qui fait croire au voyageur perdu dans le Sahara qu’il est au fond d’un trou noir dont il gravit, sans avancer d’un pas, les pentes croulantes[3].

Puis, ce fut le tour d’Hilarion, qui se mit à gratter désespérément le sable en répétant d’une voix étranglée : A boire ! à boire !

  1. Levrette arabe.
  2. Nachtigal. Sahara et Soudan.
  3. Largeau. Le pays de Rirha.