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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/162

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« — C’est un souci que n’aura pas le sultan, car il serait bien embarrassé pour habiller ses hordes, fût-ce d’une simple chemise : a-t-il réfléchi qu’il trouverait en Europe un ennemi inconnu de lui, « l’hiver », et sait-il que ses nègres tomberont comme des mouches, s’il néglige la question « habillement ».

Plus loin, le commandeur des croyants fixait la quotité des rations : chaque soldat avait droit à un pain de 20 onces, un quart de livre de semoule au beurre en hiver, à l’huile en été.

Le seyàf avait droit à un quartier de mouton tous les jeudis ; le chef de bataillon, seul, recevait un mouton entier par semaine.

Après quoi, venaient les règles sur l’avancement : on ne pouvait atteindre un grade qu’après avoir fait un stage dans le précédent et s’être distingué à la guerre.

Enfin, la série des diverses pénalités terminait l’œuvre, et de Melval lut entre autres : « cinq cents coups de bâton à qui mangera de la viande de porc ».

Il ferma le livre ; s’il eût été moins absorbé par le souvenir de sa conversation avec Omar, il eût certainement fait la remarque que le règlement d’Abd-el-Kader contenait beau coup de choses en peu de mots, à l’inverse de certaines théories qui contiennent beaucoup de mots pour dire peu de chose.

Mais il était encore sous l’impression de la découverte qu’il venait de faire.

Il ne pouvait s’y tromper : Omar n’avait pas oublié la blonde Parisienne ; il avait suffi d’une simple évocation pour faire renaître de ses cendres cette passion dont ils s’étaient tant amusés jadis, lorsqu’à la gare Montparnasse, les Saint-Cyriens voyaient le petit sultan s’engouffrer dans une voiture fermée, qui filait au grand trot vers les boulevards.

Il pensait donc toujours à elle ?

Que se passait-il dans cette tête qui rêvait la destruction de l’ancien monde et que le souvenir d’une femme suffisait à bouleverser au milieu des projets les plus grandioses ?

Pouvait-il être le conquérant impassible et implacable, ce jeune chef imprégné de la civilisation du vieux continent et tout vibrant encore des amours d’antan ?