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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/44

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L’Européen qui eût pénétré à leur suite dans ce réduit n’eût pu retenir un cri de surprise indicible.

Sous toutes ses formes l’or, ce dieu du monde moderne, s’y étalait, s’y entassait dans un rayonnement fauve. Chacun des ateliers noirs avait fondu les pépites extraites du fleuve suivant une forme particulière : cylindres, cônes, briquettes, galettes, barres plates ou rondes s’empilaient dans un désordre apparent. L’œil était ébloui par ces richesses dont le sultan lui-même ne connaissait pas le chiffre et dans lesquelles il puisait sans compter pour acheter des armes et compléter les approvisionnements de guerre.

Mounza montra au sultan les lingots coulés pendant les derniers mois, puis ceux qui, répartis en charges de 300 kilogrammes dans des sacs en peau de buffle, attendaient un convoi pour partir à la côte.

Trois cents kilogrammes : c’était, en tenant compte du degré d’impureté du métal qui le mettait au prix de 2 fr. 70 le gramme, une somme de plus de 800.000 francs que portait chacun des chameaux envoyés en caravane.

Le sultan resta là un instant. Il regardait sans les voir ces richesses entassées, songeant au passé, scrutant l’avenir.

Il avait maintenant entre les mains, il le sentait, le levier qui soulève tout.

Alors il se reporta à l’époque où, assis sur le trône de Constantinople, il voyait chaque année se creuser le déficit des finances turques.

Il avait bien essayé, pendant ses années de règne, de réagir contre le gaspillage et la concussion qui rongeaient l’empire et le mettaient à la merci de ses créanciers européens.

Il avait entassé iradeh[1] sur iradeh, brisé des vâlis[2], dissous des medjliss[3], sans parvenir à y introduire l’honnêteté administrative et soulager son peuple.

Et pourtant la Turquie est un pays riche où les ressources matérielles ont énormes.

  1. Décret signé du sultan.
  2. Gouverneur de province.
  3. Conseils électifs placés auprès des gouverneurs pour contrôler leur administration.