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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/172

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Dans la buée légère du jour qui montait, à cinquante mètres à peine de la tente du Sultan, le Tzar se balançait au souffle du matin.

C’était la première fois qu’ils le retrouvaient à l’ancre, si près du camp.

Plus d’une fois depuis la rencontre de Khartoum ils l’avaient vu paraître subitement, rasant le sol ou dissimulé dans des bouquets d’arbres pendant quelques courts instants ; mais on eût dit que son maître était d’une misanthropie extraordinaire ou d’une méfiance excessive à l’égard de cette armée dont il était l’avant-garde, car il n’était jamais resté au camp plus d’une heure, et souvent on l’avait vu repartir à la tombée de la nuit pour aller s’ancrer solitaire quelques lieues plus loin.

La vérité est que plus détérioré encore qu’il ne l’avait cru, Saladin avait dû retarder l’heure de sa vengeance au-delà des limites qu’il s’était fixées lui-même.

La première fois qu’il s’était présenté devant le prince Omar dans l’état lamentable où l’avaient mis les vigoureux poings du lieutenant, aucune question ne lui avait été adressée, mais il avait bien senti à certain regard ironique que le fils du Sultan, devinant la vérité, était loin de faire un crime à l’officier français de cette exécution sommaire.

Sentant en celui-ci un ennemi puissant, il avait résolu d’attendre une occasion favorable, et ce soir-là il avait serré nerveusement sa carabine et l’avait disposée à sa portée contre le bordage de la nacelle, cherchant des yeux les tentes des officiers français qu’il savait être les plus voisines de celle du Sultan.

La nuit était arrivée quand il jeta l’ancre sur un bouquet de palmiers nains. Peu rassuré sur la solidité de son point d’attache, il fit descendre Mata, dont il avait plusieurs fois mis à l’épreuve l’extrême docilité et la soumission silencieuse.

— Tiens-toi là, lui dit-il, et veille avec soin !

Le nègre s’accroupit immobile, jetant un regard de regret vers un petit groupe de tentes qui, au milieu de l’obscurité, se distinguaient de toutes les autres. De forme quadrangulaire, elles dominaient la foule des « guétoun »