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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/47

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Depuis six longues semaines, les deux Français étaient en route, dans un pays dont l’orographie et l’hydrographie leur paraissaient inextricables. Sans carte, car les cartes portent encore au sud du Darfour et de l’Ouadaï d’immenses espaces blancs, ils allaient, traversant forêts, rivières et montagnes, comme ces troupeaux que le nomade pousse devant lui.

Et, n’ayant même plus le sentiment des distances, ils avaient été pendant cette longue période, dans l’impossibilité de figurer, à 200 kilomètres près, la position du camp de chaque soir.

Le Nil ! El Ma el Nil Ma el Djenna ! chantait le guide. (L’eau du Nil est l’eau du Paradis !) Maintenant ils savaient où ils étaient : au bord de cette artère féconde, il leur semblait retrouver la civilisation, bien qu’elle fût loin encore, car celui qui régnait là, Ahmed-el-Madhi, en était au contraire l’ennemi le plus acharné.

Le Sultan lui aussi avait senti, à l’aspect du Nil, son cœur se gonfler dans sa poitrine ; lorsqu’il avait passé ce fleuve quelques années auparavant pour trouver un refuge dans le Bahr-el-Ghazal, il fuyait abandonné de tous, traqué par l’Angleterre, chassé par son ancien vassal, le khédive d’Égypte.

Son sang bouillonna à ce souvenir cuisant, et il pressa le pas de son cheval.

Deux jours après, il atteignait Omdurman, ou confluent des deux Nils.

La semaine suivante, l’armée d’Atougha l’y avait rejoint, puis concentrée sur la rive droite du fleuve et augmentée de 15.000 soldats d’élite, contingent de l’empire Mahdiste, elle s’était ruée au sac de l’Abyssinie, que les Gallas et les Somalis attaquaient par le Sud.

Ainsi en avait, au dernier moment, décidé le Maître, qui voyait dans cette expédition un moyen d’entrainer la « Légion du Prophète », de l’habituer à la discipline, de fondre en une seule armée tous ces peuples étrangers les uns aux autres, en même temps qu’elle mettait sa Garde en relief par un premier exploit.

Ménélik III, successeur du Ménélik qui avait refusé le protectorat italien en 1891 et qui s’intitulait le « Roi des rois »