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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/160

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autre. Il jouissait amèrement de dire sur sa vie le mot le plus exact. Milou le regardait et s’effrayait. Ils allumèrent de nouvelles cigarettes et repartirent du côté de la Madeleine.

— Tu as raison, Milou, je n’ai pas aimé les gens, je n’ai jamais pu les aimer que de loin ; c’est pourquoi, pour prendre le recul nécessaire, je les ai toujours quittés, ou je les ai amenés à me quitter.

— Mais non, je t’ai vu avec les femmes, et avec tes plus grands amis : tu es aux petits soins, tu les serres de très près.

— J’essaie de donner le change, mais ça ne prend pas… oui, tu vois il ne faut pas se bourrer le crâne, je regrette affreusement d’être seul, de n’avoir personne. Mais je n’ai que ce que je mérite. Je ne peux pas toucher, je ne peux pas prendre, et au fond, ça vient du cœur.

— Tu as peut-être raison. Mais il ne faut pas dire des choses comme ça. Penser ça, vous vide un homme comme un lapin. Ça vous donne envie de…

Il s’arrêta avec effroi, sans oser regarder Alain.

— Quand on a vraiment le goût des gens, reprit Alain qui avait noté l’arrêt de Milou et en savourait le fugitif pressentiment, ils sont très gentils, ils vous donnent tout : l’amour, l’argent.

— Tu crois ? demanda Milou avec une enfantine concupiscence.

Alain se détourna de la rue Royale et gagna