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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/23

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vicieux, l’agent de change catholique et le coulissier juif avaient croisé, ces jours-ci, chez le docteur de la Barbinais leurs chemins longtemps parallèles. Ils se haïssaient cérémonieusement avec cette puissance de mutuelle considération qu’ont les uns pour les autres les juifs et les chrétiens.

Enfin, Mme de la Barbinais. C’était la seule folle de la maison. Bien qu’elle obligeât sans cesse son mari à lui faire l’amour, son gros ventre criait encore famine. Elle était entrée plusieurs fois chez Alain, les joues violettes, contenant des deux mains la panique de tous ses organes, car le prurit qui travaillait sa matrice semblait gagner son foie, son estomac. Elle avait des bâillements obscènes. Alain lui parlait avec une bonhomie si gentille qu’elle y trouvait une sorte de calmant ; ‬en titubant, elle repassait la porte et courait se rejeter sur le docteur.

Le docteur était un geôlier inquiet. Ses gros yeux globuleux roulaient dans des joues creusées par l’angoisse de perdre ses pensionnaires et la barbiche, qui lui tenait lieu de menton, tremblait sans cesse.

Tous ces gens mangeaient et papotaient. Alain, muet, regardait la carafe de vin rouge placée devant lui. Il n’en buvait point : ‬le jour qu’il était sorti d’une autre maison de santé, lors d’une précédente désintoxication, il était entré dans le premier bistrot venu et, pris d’une