Aller au contenu

Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entr’aperçu la puissance de l’écriture dont les mailles recueillent et rassemblent sans cesse toutes les forces diffuses de la vie humaine. Il prit le portefeuille à serrure et l’ouvrit avec une petite clef qu’il gardait toujours sur lui. Là dormaient quelques feuilles noircies. Sur l’une d’elles était écrit ; ‬Le Voyageur sans billet. C’était l’ébauche d’une confession réduite à quelques linéaments incertains qui s’effilochaient parmi les espaces du papier. Une phrase, un paragraphe, un mot. Il tourna les pages ; moins que d’habitude, il éprouvait cette crainte et cette inhibition qui le glaçaient devant l’acte d’écrire. Il avait toujours ignoré que même si son âme n’avait pas été exsangue, il lui aurait fallu, pour pouvoir l’épancher, d’abord la contraindre, la contracter avec effort et douleur.

Il relut quelques pages qui partaient, qui hésitaient, qui se perdaient. Il aperçut les points de défaillance ; et un peu de ce qui demandait à s’ajouter à ce maigre texte et, incorporé à lui, à vivre, tressaillit.

Il prit son stylo, hésita, s’enhardit, toucha le papier, le marqua. Minute émouvante : Alain se rapprochait de la vie. On lui avait appris dans certains milieux littéraires qu’il avait traversés autrefois, à mépriser la littérature. Il avait trouvé dans cette attitude une ligne de moindre résistance qui convenait à sa frivolité, à sa paresse. Et d’ailleurs, ne vivant pas, il ne pou-