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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/79

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— Mon vieux, tu te trompes. Il y a beau temps que la psychologie ne me suffit plus ; ce que j’aime chez les hommes, ce ne sont plus tant leurs passions elles-mêmes, mais ces êtres qui sortent de leurs passions et qui sont aussi forts qu’elles, les idées, les dieux. Les dieux naissent avec les hommes, meurent avec les hommes, mais ces races emmêlées roulent dans l’éternel. Mais ne parlons pas de cela… Tu comprends, voila ce que je me représente : tu es né d’une famille de vieille petite bourgeoisie pour qui l’argent était une source modeste dans le fond du jardin, nécessaire pour arroser une culture tout intérieure. Il fallait pouvoir s’occuper tranquillement de son moi : donc, héritage, sinécure ou mariage. Eh bien, toi qui t’es révolté contre ta famille, tu en as hérité tout naturellement ce préjugé. Tu ne t’es pas plié à l’époque comme la plupart font autour de nous : tu n’as pas accepté la nouvelle loi du travail forcé et tu es resté suspendu à la tradition de l’argent qui tombe du ciel, mais cela fait de toi un songe-creux. Voilà.

— Tu as fini ?

Dubourg baissa la tête et tira sur sa pipe, penaud. Ce n’était pas du tout ce qu’il aurait voulu dire. Il lui aurait fallu aller bien plus loin, mais cela aurait duré longtemps, et, en dépit de la gravité de l’heure, il ‬craignait encore la moquerie d’Alain.

— Tu crois que ces explications sont futiles.