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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/303

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JEAN-BAPTISTE JECKER.

être obligé de livrer bataille et succomber en route ; certes on pouvait s’attendre à des péripéties périlleuses, mais tout ne valait-il pas mieux que de périr rue Haxo comme des moutons égorgés à la boucherie ?

Pinet voulut consulter un homme en qui il avait confiance, fonctionnaire régulier de la Grande-Roquette, demeuré très ferme à son poste malgré les avanies dont il fut souvent abreuvé jusqu’au dégoût. Le fonctionnaire l’écouta et lui dit : « C’est bien dangereux, vous vous ferez tuer ; il vaut mieux attendre ; la Commune, quoi qu’elle fasse, est perdue ; la délivrance est prochaine ; voyez vos détenus, ranimez leur courage et donnez-leur de l’espérance. » Pinet ne fut pas convaincu, et pendant la promenade quotidienne que faisaient les gendarmes dans le chemin de ronde, il s’approcha du maréchal des logis Geanty et lui expliqua son projet. C’était cette nuit même qu’il fallait agir, parce que certainement on commettrait de nouveaux meurtres le lendemain dans la prison, et que cette fois ce serait peut-être le tour des gendarmes. Le maréchal des logis, pris à l’improviste, ne sut que répondre ; il demanda à réfléchir et pria Pinet de venir causer avec lui le soir dans sa cellule à huit heures.

Le maréchal des logis Geanty était un homme doux, bon soldat, préoccupé du sort de sa femme, qu’il avait fait partir pour la province, très soumis à la discipline et au devoir, mais dont l’énergie s’était usée par deux mois de captivité et sous les évènements qui l’avaient accablé. Il s’est peint à son insu dans une lettre qu’il écrivit à un de ses parents vers la première quinzaine de mai : « Il ne s’est pas passé un seul jour depuis mon entrée sans que j'aie pleuré ! Mes cheveux changent de couleur ; on ne rajeunit pas ici ; à quand la fin ? Moi, qui suis arrivé à vingt-deux ans de bons services sans avoir couché à la salle de police, je débute par quarante--