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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/332

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LA GRANDE-ROQUETTE.

Gabriel Ranvier les regarda défiler, et, s’adressant à Émile Gois, il lui cria : « Va me fusiller tout cela aux remparts ! » La population était en fête ; elle avait organisé le cortège à sa guise et en avait fait une sorte de marche triomphale. Une vivandière vêtue de rouge, le sabre à la main, juchée à califourchon sur un cheval, s’avançait la première ; après elle une batterie de tambours, soutenue par une fanfare de clairons, sonnait la charge et versait l’ivresse du bruit rythmé dans ces têtes affolées déjà par l’ivresse de l’alcool et du sang ; derrière les musiciens, un jeune homme de vingt ans à peine, merveilleusement agile et adroit, dansait en jonglant avec son fusil. La foule pressait les otages ; des femmes leur « allongeaient » des coups de griffe à travers les fédérés qui les gardaient. On criait : « Ici, ici, il faut les tuer ici ! » Émile Gois apaisait le peuple d’un geste de la main et disait : « Non ; vous avez entendu le citoyen Ranvier, il a ordonné d’aller aux remparts. »

Dans cette rue de Paris[1] insupportablement longue, le martyre que ces malheureux eurent à supporter n’est pas concevable. Pas un de ceux dont ils étaient entourés qui ne voulût frapper son coup, japper son injure, lancer sa pierre. Ils ruisselaient de sueur ; les soldats avaient une admirable contenance et, sous les projectiles qui les accablaient, marchaient comme au feu dans les bons jours de victoire du temps de leur jeunesse ; derrière eux, à haute voix, les prêtres les exhortaient à bien mourir ; il n’en était pas besoin. Mais, à distance historique des évènements, il n’en reste pas moins incompréhensible que pas un de ces hommes, qui tous étaient braves, n’ait tenté un effort désespéré. Un mot nous a été dit qui explique peut-être ce phénomène :

  1. C’est actuellement la rue de Belleville.