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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/397

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

et l’acharnement du désespoir. On a su plus tard que, le lundi 22 mai, une demi-douzaine des plus féroces meneurs de la Commune, y compris Raoul Rigault, s’étaient réunis en conseil et avaient décidé la mort de l’archevêque et de cinq autres otages.

Je ne puis entrer ici dans tous les détails horribles de ce qui suivit. Ils furent bientôt transférés de Mazas à la Roquette, dans un vulgaire chariot de déménagement, suivi pendant tout le trajet par une tourbe forcenée d’hommes, de femmes et d’enfants, qui accablèrent ces malheureux de cris outrageants et de quolibets obscènes. Enfermés à la Roquette, ils y restèrent jusqu’au mercredi soir 24 mai. À environ six heures, un détachement d’une quarantaine d’hommes appartenant à une compagnie de la garde nationale insurrectionnelle nommée les Vengeurs de la République, avec un capitaine, un premier et un second lieutenant, un commissaire de police et deux membres délégués par la Commune, arrivèrent à la prison. Après un long pourparler avec le directeur en fonctions, qui d’abord refusa de livrer les victimes, ils furent enfin abandonnés à cette bande d’assassins et à une mort certaine et expéditive.

Comme j’étais anxieux de recueillir tout ce que je pourrais apprendre sur les dernières heures de l’archevêque, je visitai la prison de la Roquette peu de jours après le massacre. Grâce à la courtoise obligeance du commandant militaire et d’un des vieux gardiens, je pus pénétrer dans la cellule où il avait été détenu et d’où il avait été tiré pour être fusillé. Tout était dans cette cellule exactement comme il l’avait laissé. L’abbé Deguerry (curé de la Madeleine), le président Bonjean et trois autres otages de distinction furent appelés en même temps, et tous ensemble, au nombre de six, furent emmenés dans la cour et placés contre la muraille qui clôt le sombre édifice de la prison. On m’a montré tout cela. L’archevêque, le plus éminent d’entre eux, fut placé en tête de la ligne. Les démons qui l’ont assassiné avaient, comme par dérision, gravé une croix sur une pierre de la muraille à laquelle il était adossé, et à l’endroit même que sa tête doit avoir touché au moment où le fatal feu de peloton fut exécuté. Quoique blessé, il ne tomba pas au premier coup, mais resta debout, calme et immobile, comme absorbé dans la prière. D’autres décharges suivirent immédiatement, et la vénérable victime tomba à terre sans vie.

Vers trois heures du matin, les corps des six otages fusillés ensemble furent entassés dans une charrette prise au cimetière du Père-Lachaise, et jetés pêle-mêle, sans linceul ni bière, dans la fosse commune, d’où ils ont été heureusement tirés avant que la décomposition fût entière. Le corps de l’archevêque avait été dépouillé de tout, même de ses souliers. Les détails écœurants de ce drame terrible et sanglant ont été exposés tout au long dans le procès des assassins devant le conseil de guerre à Versailles. Plusieurs des coupables ont reçu le juste châtiment de leur crime.