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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/399

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

dis que je m’adressais à lui, non en ma qualité de diplomate, mais simplement dans l’intérêt des bons sentiments et de l’humanité, afin de voir s’il n’était pas possible de faire cesser l’arrestation et l’emprisonnement de l’archevêque. Il me répondit que cette affaire n’était pas de sa juridiction, et que, quel que fût son vif désir de voir relaxer l’archevêque, il croyait que, dans l’état actuel des choses, il serait impossible de l’obtenir. Il a dit qu’il n’était point arrêté pour crime, mais simplement pour être gardé comme otage, avec beaucoup d’autres. Dans les circonstances actuelles, il pense qu’il serait inutile de faire aucune démarche en ce sens. C’est aussi mon sentiment que la Commune, dans l’état d’excitation où se trouve présentement l’esprit public, n’oserait pas relâcher l’archevêque. Je dis au général Cluseret qu’il fallait cependant que je le visse pour m’assurer de sa situation réelle, de l’état de sa santé et des besoins qu’il pouvait éprouver. Il répondit qu’à cela il n’y aurait point d’objection, et il m’accompagna immédiatement en personne à la Préfecture de police, où, sur sa demande, je reçus du préfet une permission pour visiter librement et quand je voudrais l’archevêque. En compagnie de mon secrétaire particulier, M. Mac Kean, je me rendis alors à la prison Mazas, où je fus admis sans difficulté, et après qu’on m’eut fait pénétrer dans une des cellules vides, on m’introduisit bientôt auprès de l’archevêque. Je dois dire que je fus profondément touché à l’aspect de cet homme vénérable. Sa personne chétive, sa taille un peu courbée, sa barbe longue (car il semblait n’avoir pas été rasé depuis son incarcération), son visage rendu hagard par la mauvaise santé, tout cela eût certainement ému le plus indifférent. Je lui dis qu’à la demande de ses amis, j’étais intervenu en sa faveur avec un grand plaisir, et que, si je ne pouvais me promettre la satisfaction de le voir élargi, j’étais bien heureux de le visiter pour m’assurer de ses besoins et de la cruelle position où il se trouvait. Il me remercia avec beaucoup de cordialité et d’expansion des dispositions que je lui manifestais. Je fus charmé par sa bonne humeur et l’intérêt de sa conversation. Il paraissait avoir conscience de sa situation critique et être préparé au pire. Il n’avait aucune parole d’amertume ou de reproche pour ses persécuteurs ; mais, d’autre part, il fit la remarque que le monde les jugeait pires qu’ils n’étaient réellement. Il attendait patiemment « la logique des évènements », et priait pour que la Providence pût trouver à ces terribles troubles une solution qui épargnât le sang humain. Il est détenu dans une cellule de six pieds sur dix, peut-être un peu plus grande, qui a le mobilier ordinaire de la prison : une chaise et une petite table en bois, et un lit de prison. Elle est éclairée par une petite fenêtre. Comme prisonnier politique, il a la faculté de se faire apporter sa nourriture du dehors, et, en réponse à l’offre que j’étais heureux de lui faire, de lui envoyer tout ce qu’il pourrait souhaiter, ou de lui remettre tout l’argent dont il pouvait avoir