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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/415

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

empressement à aller trouver Raoul Rigault ; mais celui-ci lui objecta que Jecker était devenu sujet français. Le jeune diplomate eut peut-être le tort de ne point assez insister, car personne n’avait la preuve de ce changement de nationalité et l’on pouvait sauver ce martyr.

En apprenant cette inquiétante fin de non-recevoir, j’allai trouver un mien ami, M. Charles Read, que je savais en anciennes relations avec Arnould, l’un des membres de la Commune. Mais le pauvre Arnould commençait à devenir suspect à ses furibonds collègues ; de sorte qu’il nous assura que sa recommandation ne ferait qu’aggraver la situation du prisonnier. Il nous confessa qu’en ce moment il la croyait des plus dangereuses.

De là je me rendis à la Préfecture de police, dans l’espoir d’obtenir tout au moins des nouvelles du pauvre détenu. Étant entré, comme dans une halle (sans gardien ni sentinelle) dans la grande pièce du rez-de-chaussée, je vis au fond de la salle un jeune citoyen qui semblait trôner au milieu d’un groupe et qui devait être Raoul Rigault[1] Ce personnage m’accueillit avec une politesse à laquelle je ne m’attendais point, me disant qu’il allait donner des ordres pour que je pusse voir le citoyen Jecker, et il sortit aussitôt par une porte d’intérieur. Entre temps le groupe principal s’était fractionné en petites coteries, dans lesquelles on causait avec plus ou moins d’animation. L’un des assistants, à figure placide, profita de ce mouvement qui s’était fait dans la salle pour s’approcher de moi et me dire à l’oreille : « Monsieur, n’attendez pas le retour du citoyen que vous avez vu sortir par cette porte : il y va de votre sûreté. » Je ne me fis point répéter l’avertissement ; je remerciai mon bienveillant informateur par un signe de tête, et m’en allai à reculons.

Le nom de Jecker doit être éteint, car le docteur et J.-B. n’ont jamais été mariés. L’ainée de leurs sœurs avait épousé un négociant de Bordeaux, M. Bornèque, dont elle eut trois fils. J.-B. en avait appelé deux au Mexique : l’un travaillait dans son cabinet (Jules), et l’autre était sur sa grande usine de fer ; le troisième est encore attaché à une grande maison de banque à Londres.

Après la chute de notre hideuse Commune, Bornèque de Londres vint à Paris rechercher le corps de Jecker et l’a fait inhumer.

À mon témoignage sur l’honorabilité de J.-B. Jecker je puis joindre celui fort compétent de M. Hottinguer père. En octobre 1860, le comte de Saligny, qui allait partir pour le Mexique, se trouvant appelé par une affaire chez M. Hottinguer, demanda à celui-ci qu’elle était son opinion sur Jecker, dont on parlait si

  1. D’après la description de M. de Morineau, c’est évidemment dans la salle dite des Passeports qu’il est entré. Le jeune homme qu’il prend pour Raoul Rigault devait être le chef du quatrième bureau (1re division). Raoul Rigault se tenait toujours dans le cabinet du préfet de police. M. D.