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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/118

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il redoutait qu’une tempête ne s’élevât de la houle parisienne. Il voulut se rendre compte par lui-même de l’attitude de la population. Dans la matinée du jeudi 4 décembre, il revêtit un costume de dragon, rabattit le plus possible la visière du casque, afin de cacher son visage, que les estampes et surtout les caricatures avaient popularisé, et escorta, en qualité d’ordonnance, un capitaine d’état-major, qui parcourut une partie des boulevards et du quartier des Halles. Le résultat de cette promenade aurait été, d’après ce que l’on m’a dit, la fusillade inopinée du boulevard Bonne-Nouvelle. Je crois qu’elle fut inutile ; des généraux m’ont dit qu’elle avait été indispensable. En tout cas, elle me parut odieuse et c’est l’impression que j’en ai conservée.

Un des acteurs secondaires du coup d’État voulut passer subitement héros, n’y parvint pas et resta ridicule. Léopold Le Hon, qui n’était pas encore majeur, avait suivi au ministère le comte de Morny, auquel il servit de secrétaire ou de chef de cabinet. Il cacheta et décacheta des dépêches ; il reçut les gens empressés à venir demander des places ; il causa avec un boursier nommé Achille Bouchet, qui manœuvrait, pour la circonstance, le télégraphe du ministère ; il déjeuna avec le ministre et poussa le dévouement jusqu’à coucher tout habillé sur un canapé. Ces hauts faits lui valurent la croix de la Légion d’honneur et le poste d’auditeur au Conseil d’État ; pour un éphèbe qui n’avait point encore quitté la robe prétexte, c’était suffisant. Il n’en jugea pas ainsi et voulut secouer la corne d’abondance d’où tombent les faveurs méritées par l’héroïsme.

Un soir du mois de janvier, la comtesse Le Hon recevait dans son hôtel des Champs-Élysées. Au milieu des salons remplis de monde, on vit apparaître le jeune Léopold, pâle, les vêtements déchirés et souillés de boue, le visage ensanglanté, un bâton brisé à la main, se soutenant à peine, mais conservant néanmoins une attitude martiale. Ce fut un cri d’effroi. Il raconta que, près du Cours-la-Reine, six hommes s’étaient rués sur lui et avaient voulu le forcer à crier : « Vive la République ! » Sur son refus, ils l’avaient frappé, avaient tenté de l’assassiner, mais, quoiqu’il ne fût armé que d’une simple canne, il avait déployé une telle énergie qu’il avait mis les assaillants en fuite. Tout le Landerneau parisien fut en émoi et la police commença une enquête. De sa nature, la police est sceptique ; elle s’arrête peu aux appa-