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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/21

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L’histoire, je crois, sera sévère pour lui. On cherche en vain une pensée dominante à son règne et l’on n’en découvre pas. Il voulut se maintenir et se maintint un peu quand même pendant dix-huit années. Extraordinairement hautain, — il l’avouait lui-même, — malgré sa bonhomie de commande, il avait essayé de créer une aristocratie nouvelle à l’aide des financiers et des grands industriels dont il encombra la Chambre des pairs. Loustalot, qui mourut à l’âge de vingt-huit ans, écrivait dès le mois d’octobre 1790 dans Les Révolutions de Paris, de Prudhomme : « Le plus clair de cette révolution sera qu’une aristocratie d’argent se substituera à l’aristocratie de naissance. » Plus que tout autre, Louis-Philippe aida à l’accomplissement de cette prophétie. Il ne comprit pas ou se soucia peu de comprendre que le jour où les gens qui exercent un trafic quelconque font partie des assemblées délibérantes, celles-ci perdent toute grandeur et toute aspiration vers un but élevé. Quels que soient les besoins grossiers d’un peuple, quel que soit son appétit vers la jouissance et les satisfactions matérielles, on ne le mène à des destinées sérieuses, on ne lui fait une existence durable qu’en s’appuyant sur des abstractions idéales. Or, s’il fut en France un gouvernement où nul idéal n’apparaît, c’est celui pendant lequel la France végéta de 1830 à 1848. À y regarder de près, Louis-Philippe est si facilement tombé parce que sa royauté avait répondu à un besoin d’ordre momentané, parce que les craintes conçues après la commotion de Juillet étaient évanouies depuis longtemps et parce que l’origine défectueuse de son pouvoir l’avait empêché de prendre racine dans le pays. On avait appelé le gendarme pour mettre quelques perturbateurs à la raison ; on le renvoya, dès que l’on crut n’en avoir plus besoin.

Pendant la Restauration et surtout aux jours du règne de

    voulu. » Le Cradoc, que j’ai connu, avait épousé morganatiquement la princesse Bagration, beaucoup plus âgée que lui ; devenu Lord Howden, il a été ambassadeur d’Angleterre à Madrid. Sous l’influence d’une liaison passionnée, contractée dans les dernières années de sa vie, il se posa en champion intransigeant de l’orléanisme ; c’est pourquoi son récit n’est peut-être pas d’une sincérité absolue. Le fait est consigné dans ses Mémoires, qui appartiennent aujourd’hui (1889), par droit de succession extra-collatéral, à M. Emmanuel Bocher. Thureau a eu les Mémoires entre les mains ; c’est lui qui m’a raconté le fait que je viens de reproduire et auquel il m’est difficile d’accorder une confiance sans réserve.