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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/266

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général Lebrun, appartenant à l’armée de Mac-Mahon, avait défendu Bazeilles, tandis que de Malroy était resté enfermé dans Paris, où il était chef d’état-major du général Soumain. De Malroy se lamentait et se demandait par suite de quelle étourderie on s’était jeté dans une aventure si grave, sans s’être assuré du concours d’une autre puissance. Pour répondre à cette question, le général Lebrun raconta ce qui suit : j’en ai pris note, le même jour, en rentrant chez moi, et, sauf quelques détails que j’aurai omis ou mal compris, je crois pouvoir affirmer que mon récit est exact.

Le général Lebrun partit pour Vienne, à la fin du mois de mai ; sa mission était strictement confidentielle et il devait la dissimuler même à notre ambassadeur ; j’ignore s’il vit l’empereur d’Autriche, mais je sais qu’il entra immédiatement en rapport avec l’archiduc Albert[1], qui était quelque chose comme généralissime des armées autrichiennes. Le problème que le général Lebrun devait lui soumettre peut se formuler ainsi : « Dans le cas d’une guerre entre la France et la Prusse, si l’Autriche y prenait part, quel serait le plan de campagne qu’elle proposerait ? » À cette époque, l’Autriche, ulcérée de ses récentes défaites, humiliée d’avoir été rejetée hors de la Confédération germanique, dépouillée de son influence en Allemagne, attristée d’avoir perdu la Vénétie, ne rêvait que de revanche et regardait du côté de Berlin avec colère. Le gouvernement français ne faisait donc pas acte de présomption en comptant sur un concours efficace.

Si je ne me suis pas trompé sur le sens des explications, parfois trop techniques, que le général Lebrun donnait au général de Malroy, le point dont on avait été surtout préoccupé était celui de la mobilisation. La mobilisation prussienne était très rapide, on l’avait vu en 1866 ; la mobilisation française était plus lente, et la nécessité d’amener en ligne l’armée d’Algérie ne pouvait que la retarder encore ; la mobilisation autrichienne était pesante. Il était donc probable que le début de la guerre serait favorable aux Allemands, qui pourraient forcer la frontière de France avec un contingent plus considérable que le nôtre. Dans ce cas, le principal souci du commandant en chef des armées françaises devait être d’immobiliser devant Metz et devant Strasbourg

  1. Albert de Habsbourg (1817-1895), fils de l’archiduc Charles et petit-fils de l’empereur Léopold II, était commandant en chef des armées autrichiennes depuis 1867. (N. d. É.)