Aller au contenu

Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que l’on rendrait inévitable, il sacrifia la paix au désir de maintenir les réformes qu’il avait inaugurées ; en outre, il était convaincu que nous irions non pas à la bataille, mais à la victoire ; en cas de guerre, il devenait le ministre victorieux et restait inébranlable, car il eût rendu au pays les frontières du Rhin, si amèrement regrettées, si ardemment convoitées.

Ces deux motifs étaient suffisants à l’excuser à ses propres yeux, car il s’imaginait assurer du même coup sa situation, le système libéral et les destinées de la France. À ceci, je dois ajouter qu’il y avait en lui quelque chose de médiocre et de cabotin ; il voulait plaire et n’hésitait pas à s’approprier l’opinion d’autrui, lorsque cette opinion ralliait plus de partisans que la sienne ; on eût dit qu’il se penchait vers la voix publique pour la mieux entendre et la mieux répéter ; je l’ai vu plus tard à l’Académie française inventer, soutenir la candidature d’Oscar de Vallée et l’abandonner à la minute du scrutin, parce qu’il reconnut que les votes allaient se porter sur un autre concurrent. Toute sa vie il fut ainsi ; il ignorait qu’un homme politique qui ne sait pas être impopulaire ne sera jamais un homme d’État.

Quoi qu’il en soit, dans cette journée mémorable, Émile Ollivier, après s’être mêlé aux groupes dans les couloirs de la Chambre, après avoir affirmé que la paix était certaine, après avoir écouté les observations qui lui furent adressées et avoir recueilli les impressions parlementaires, n’était plus le même homme lorsqu’il prit séance ; son attitude était modifiée et semblait hésitante. Il avait causé pendant quelques instants avec Thiers, qui l’avait adjuré d’accepter simplement la renonciation du prince Hohenzollern et de ne pas exposer la France aux périls d’une guerre dont le résultat était incertain. Dans cette recommandation très sage et d’un patriotisme peu douteux, il n’avait vu qu’un piège ; or, en politique, il est de tradition d’écouter les conseils de ses adversaires et de ne jamais s’y conformer. L’assemblée était nerveuse ; l’opposition ne voulait pas de la guerre ; c’était une raison pour que le parti gouvernemental, alors très nombreux, en voulût. Ollivier monta à la tribune et, en quelques mots, expliqua que, le prince Antoine de Hohenzollern ayant retiré l’autorisation qu’il avait accordée à son fils d’accepter le trône d’Espagne, l’incident était terminé ipso facto.