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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/48

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C’est un garçon doux et timide, détestant les opinions de son père ; le nom qu’il porte lui paraît lourd ; il fuit le monde ; il est marié et vit à Montreuil-aux-Lions, dans l’arrondissement de Château-Thierry ; il habite une petite propriété d’agrément, ornée d’une terrasse et d’un jardin propret, comme un jardin de curé. Souvent il a cherché à venir en aide à son père, qui jamais n’a voulu accepter de lui une pension annuelle de 1 200 francs. Il a su que, le 28 juillet 1835, alors qu’il était au maillot, son père l’a offert en sacrifice à ses haines et surtout à sa sécurité ; c’est là un sujet dont il n’aime pas à parler. Quant à la présence des sept conspirateurs au chantier de la Galiote, Bastide, pendant la durée du Second Empire, semblait en tirer gloire et la rappelait avec complaisance. Un an après, le 25 juin 1836, Alibaud tentait d’assassiner le roi ; c’était encore une main républicaine ; mais les bonapartistes, qui semblaient depuis longtemps avoir abandonné la partie, allaient rentrer en scène avec éclat. L’aventure de Strasbourg est du 30 octobre. Elle fut moins ridicule que celle qui se produisit quatre ans plus tard à Boulogne-sur-Mer ; mais elle échoua misérablement, quoique le 4e régiment d’artillerie, commandé par le colonel Vaudrey, se fût prononcé pour le prince Louis et eût crié : « Vive l’Empereur ! » On fut maladroit, on fut inhabile, on manqua de présence d’esprit et l’on n’excita dans le pays qu’un accès d’hilarité. La conspiration était grave cependant, bien plus grave qu’on ne l’a laissé supposer. Louis-Philippe, qui était bien renseigné sur l’esprit public, disait : « Je ne redoute rien des carlistes, rien des républicains, si ce n’est un coup de fusil ; des impérialistes je crains tout, car un mouvement bien conduit peut soulever une telle émotion en France que le gouvernement serait renversé avant d’avoir eu le temps de prendre une mesure de salut. » Cette opinion n’est pas excessive, et c’est elle qui a engagé le roi à permettre à Thiers de tendre le traquenard de Boulogne où le prince Louis s’est jeté comme un étourneau.

On a intentionnellement diminué l’importance de l’affaire de Strasbourg ; on a eu peur d’en laisser voir le fond, on a eu peur même d’y regarder, pour n’y point reconnaître la quantité et la qualité des gens qui étaient prêts à se rallier au complot, s’il n’eût été déjoué dès la première heure. Les conjurés étaient en relations avec Metz, avec Lunéville,