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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/93

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et qui aspiraient au moment de s’entre-dévorer : les Réacs et les Démocs-Socs ; cela se disait ainsi. J’avais vingt-six ans ; je me souciais de politique autant que de noisettes vides, exactement comme aujourd’hui ; j’écoutais les orateurs des deux tribus, et je ne savais lesquels étaient les plus extravagants ; cependant, je dois avouer qu’après avoir entendu M. Réac je trouvais que le citoyen Démoc-Soc avait du bon, et que, lorsque j’avais causé avec le citoyen Démoc-Soc, j’estimais que M. Réac avait dit de bonnes choses. Esprit d’équité, esprit d’opposition ? je n’ai jamais pu le définir, et je flottais platoniquement entre les deux opinions, me transportant, de bonne foi, de l’une à l’autre, selon celle que l’on faisait valoir. J’en ai conclu, et depuis longtemps, que ce n’est pas l’étiquette qui fait la liqueur et que, pourvu que la liqueur soit bonne, l’étiquette importe peu. Monarchie, république, empire : qu’est-ce que cela, si vous avez la liberté, la justice et la sécurité ?

Il n’y avait pas seulement des apôtres et des prophètes, il y avait aussi des sibylles et des pythonisses qui, juchées sur le trépied des Droits de la Femme, glapissaient comme des paons avant la pluie. L’émancipation des femmes était prêchée dans le Club des femmes, qui, pour organe de revendication, avait La Voix des Femmes, d’où les rédacteurs à barbe étaient exclus. Comme le chœur des femmes, dans les Thesmophories d’Aristophane, ces vestales de l’égalité des sexes auraient pu invoquer les Génétyllides, car la plupart avaient assez d’expérience pour être reçues sages-femmes, sans examen préalable. On ne peut se figurer les insanités qui furent débitées, colportées, commentées par les couturières sans ouvrage, les bas-bleus sans talent, les cuisinières sans fourneau et les portières sans loge. Non seulement on demandait des droits politiques, mais l’on réclamait le droit aux armes et l’on parlait de former des bataillons féminins ; je crois me rappeler qu’il y eut un essai d’enrôlement pour une troupe que l’on devait nommer les Vésuviennes. Vésuviennes ? Vénusiennes eût été mieux.

Le Club des femmes tenait séance dans le sous-sol des galeries Bonne-Nouvelle ; on y allait en partie de plaisir et l’on s’y divertissait à entendre les motions des oratrices. Un soir, quelques gardes nationaux facétieux fessèrent ces dames, et le club eut vécu. La présidente était une vieille matrone, outrageusement maigre, défigurée par un nez