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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/97

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et enfin le prince Napoléon Bonaparte, ridiculisé par ses coups de main avortés à Strasbourg et à Boulogne.

Sur les 7 327 663 suffrages exprimés, les votes se répartirent ainsi : Napoléon Bonaparte, 5 434 226 ; Cavaignac, 1 448 107 ; Ledru-Rollin, 370 110 ; Raspail, 36 920 ; Lamartine, 17 910 ; Changarnier, 4 790 ; voix perdues, 12 600.

À propos de cette élection, je puis faire connaître une anecdote qui m’a été racontée par le prince Napoléon (Jérôme). Dès la fin de novembre 1848, les murs de Paris étaient tapissés d’affiches, qui recommandaient les divers candidats. Celles qui portaient le nom du prince Louis-Napoléon Bonaparte étaient systématiquement lacérées par les partisans de Cavaignac, de Lamartine, de Ledru-Rollin. Le prince Napoléon (Jérôme) alla s’en plaindre au préfet de Police, qui alors était Gervais (de Caen), médecin sans clientèle, ancien détenu politique, ex-affilié de la Société des Droits de l’Homme, bellâtre médiocre, et attendant toute fortune de la République, qu’il servait avec empressement. L’entrevue fut assez maussade ; on se traita de citoyen préfet et de citoyen représentant du peuple. Tout en déclarant qu’il lui était difficile d’empêcher les républicains de déchirer les proclamations d’un homme qui s’était toujours posé en prétendant au trône de France, Gervais promit de donner des ordres pour que la liberté des candidatures fût sauvegardée. La visite terminée, le prince Napoléon se retira, et Gervais (de Caen) le reconduisit jusqu’à la porte de son cabinet ; arrivé là, il lui dit : « Ne vous préoccupez pas de quelques affiches de plus ou de moins ; votre cousin sera élu à une majorité écrasante. »

Après l’élection du 10 décembre, Gervais (de Caen) donna sa démission de préfet de Police ; il alla voir le prince Napoléon, qui inclinait ou affectait d’incliner vers la démocratie, se lia avec lui, devint presque un de ses familiers, et, faisant un jour allusion à la visite qu’il en avait reçue, lui dit : « J’étais tellement certain de l’élection du prince Louis-Napoléon que j’ai voulu entraîner Cavaignac à s’y opposer par la force. Vers le 1er décembre, je provoquai une réunion entre lui, le général Lamoricière, ministre de la Guerre, et moi. La conférence eut lieu, à minuit, dans l’hôtel que le général Cavaignac habitait, rue de Varenne, et se prolongea jusqu’à cinq heures du matin. Je voulais un coup d’État, l’arrestation du prince Louis et de ses principaux partisans,