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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/110

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rets avaient clos leurs portes et Trouville dormait. Ce n’était plus de ce côté que l’on regardait, c’était vers la mer. Les matelots sifflaient, la brise et la tempête leur répondaient. Des rafales accompagnées de grains brutaux passaient sur le port. On touchait au jour de la pleine lune et l’on pouvait voir les nuages emportés par le vent du Sud-Ouest galoper dans le ciel. On entendait au loin les mugissements de la mer qui montait. Pourrait-on affronter le péril ? À cette même heure où Sir John n’était pas sans inquiétude sur l’issue du voyage, un de ses cousins, Hugh Burgoyne, commandant le navire de guerre à tourelle Le Capitaine, périssait corps et biens, avec cinq cents hommes d’équipage, au large du cap Finistère et sombrait au plein. Ce qui sauva La Gazelle, dans la traversée furieuse qu’elle allait effectuer, ce fut sa gracilité ; elle bondissait sur les vagues auxquelles elle n’offrait aucune prise.

Journal du bord : « Mercredi, 7 septembre 1870, à six heures trente minutes, halé le navire jusqu’aux portes du bassin. Brise fraîche du S.-O. Embarqué un pilote. Fait nos adieux au maître du port, un brave homme qui s’était montré plein de prévenances pour nous. À l’ouverture des portes du bassin, hissé en tête du mât le pavillon de l’escadre blanche et établi nos voiles hautes. À sept heures trente minutes, renvoyé le pilote ; sous la grande voile et deux focs ; la brise très fraîche, forte houle de fond, grosse pluie, temps brumeux. À neuf heures, la brise fraîchit encore. » « La brise fraîchit encore », cela n’a guère de signification pour les gens qui ne sont point du métier. Je serai mieux compris que le livre de bord en disant que l’on venait d’entrer dans la tourmente. Par les gros temps, la mer est dure dans la Manche, bordée de côtes trop rapprochées et où les vagues n’ont point, pour s’allonger, les immenses étendues de l’Océan. L’Impératrice se coucha, essayant de dormir et n’y parvenant pas, car les soubresauts de La Gazelle la jetaient hors de sa couchette. On tenait bon dans le vent arrière qui promettait de laisser atteindre rapidement la côte d’Angleterre. À midi, au milieu d’une bourrasque qui emporta la voile de fortune et sa baume, le vent sauta au Nord-Ouest et souffla en foudre. Dès lors, il devenait impossible de porter en route indiquée ; il fallut fuir dans la tempête, virant de bout en bout, quand elle se déplaçait. La