Aller au contenu

Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les peuples vont venir tendre la main à la République française, la croyance aux espions qui sortent de terre ou tombent des nuages dureront pendant toute la guerre et aussi pendant la Commune.

Ce même jour mardi 6 septembre, dans la matinée, j’avais été rue Jacob, n° 36, voir Camille Depret, le gendre d’Alexandre Bixio, afin de lui demander s’il avait des nouvelles du capitaine Lichtenstein, actuellement colonel attaché militaire auprès du président de la République, que j’aimais beaucoup et dont j’étais inquiet. Depret sortit avec moi ; dans la cour, nous rencontrâmes Villemot, qui habitait dans la maison. Sait-on encore ce que c’est que Villemot ? Écrivain d’esprit, chroniqueur infatigable de L’Indépendance belge, du Figaro, de dix autres feuilles périodiques, bienveillant, joueur effréné de dominos, commun d’allure, grand diseur de plaisanteries salées, très correct dans une vie de bohème et à qui on pouvait appliquer le vers de Clément Marot :

Au demeurant, le meilleur fils du monde.

Tous les trois, nous nous arrêtâmes à causer sur le pas de la porte cochère. Depret, né en Belgique, nationalisé Russe ; Villemot, indifférent et gouailleur ; moi connaissant bien l’Allemagne, nous avions la même pensée et nous l’exprimions vertement : « Il faut traiter ; à quoi bon épuiser ses forces ? » Un coupé de remise s’arrêta et Rochefort en descendit. Villemot, qui jamais ne perdait une occasion de dire une drôlerie, s’écria : « Tiens ! voilà mon gouvernement ! » Sans faire attention à nous, Rochefort lui dit : « J’allais chez toi ; mets une sourdine à tes articles ; évite de dire à Guillaume qu’il a le nez fait comme un pied de marmite, que Bismarck est un Jean-fesse et que Moltke est cocu ; nous allons tâcher de nous arranger avec ces gens-là ; il faut les ménager, au moins pendant quelque temps. » Villemot fit le salut militaire et répondit : « C’est bien, mon général, on se conformera à la consigne. » Ils se prirent le bras, s’éloignèrent et se promenèrent sur le trottoir pendant quelques minutes. Rochefort remonta en voiture et Villemot revint vers nous. « Eh bien ? — Il paraît que l’on a la certitude d’être appuyé par la Russie et même par d’autres puissances en vue de négocier ; allons ! ayons bonne espérance. » C’est sur cette espérance que je quittai Depret et Villemot. Celui-ci, je ne devais plus le revoir ; trois ou