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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/141

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qui eût agi le plus volontiers et de bon cœur, l’Autriche, s’était terrée après Wœrth, faisant la morte, espérant, à force d’immobilité, faire oublier ses velléités d’intervention armée. L’autre, l’Italie, poussa quelques soupirs de commisération, s’applaudit en secret de s’être tenue à l’écart d’une bagarre qui tournait si mal ; puis elle battit un ban, sonna le clairon d’alarme, rassembla ses troupes et alla prendre Rome, en répétant la parole de Charles-Albert : L’Italia farà da sè ! Vilaine besogne qui ne lui portera pas bonheur : c’est un libre volontaire de son indépendance qui le lui prédit[1]. Dès le lendemain du 4 Septembre, le Gouvernement de la Défense nationale avait expédié à Florence un vieil avocat[2], âgé de soixante-dix ans, ancien député, qui avait même été président de l’Assemblée nationale de 1848, pendant l’insurrection de juin. Il avait pour mission d’engager le roi Victor-Emmanuel à s’emparer de Rome, afin, comme on le disait alors, de « compléter les destinées de l’Italie ».

En échange de cette autorisation de manquer à la foi jurée, dont le gouvernement italien n’avait pas besoin, on demandait une intervention diplomatique et quelques troupes massées à proximité de la frontière, pour faire croire à une action possible et donner ainsi quelque confiance aux armées que la République française allait mettre sur pied. Emilio Visconti-Venosta, qui était alors ministre des Affaires étrangères en Italie, promit ou laissa croire qu’il promettait tout ce que l’on réclamait de lui, et l’on partit pour Rome, qui ne fut pas difficile à prendre. En réalité, elle n’était défendue que par un engagement d’honneur consenti par l’Italie elle-même. Je reconnais que c’est là un genre de fortification qui ne put arrêter son élan.

Je n’ai jamais été papalin, comme l’on dit au-delà des Alpes, et je ne le suis point devenu ; mais peu d’actions m’ont paru moins chevaleresques que celle-là ; elle a été sévèrement jugée, même par des Italiens. L’an dernier (1886), un haut personnage politique de la péninsule, qui vit dans la familiarité du roi Humbert, m’écrivait : « Il n’y a pas d’Italien digne de ce nom qui ne souffre à la pensée de ce que nous avons fait pour proclamer Rome capitale : nous

  1. Maxime Du Camp avait suivi, en 1860, l’expédition des Deux-Siciles dirigée par Garibaldi. (N. d. É.)
  2. Sénard (Jules), 1800-1885. Bâtonnier de l’ordre en 1874-1875. (N. d. É.)