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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/150

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sable des crimes de l’Empire. La réponse fut amère : Vous êtes les successeurs de Napoléon III, ne l’oubliez pas. Vous avez revendiqué la succession de l’Empire, puisque vous vous en êtes emparés ; la succession est grevée de dettes, payez-les, en vertu de votre axiome de droit, que je suis surpris d’avoir à vous rappeler : le mort saisit le vif. Du reste, le roi est tout prêt à traiter avec le gouvernement de Sa Majesté l’empereur Napoléon III, qui est le seul que nous ayons reconnu, qui est le seul qui, pour nous, ait une existence légale.

Mauvais début ; on paraissait ne s’être rencontré que pour se heurter ; le charme de l’éloquence de Jules Favre n’avait point amené Bismarck à des pensées généreuses, — il n’en est pas en politique, — et Bismarck, suivant sa coutume, avait tenté d’ahurir son adversaire, pour en avoir bon marché. On s’ajourna au lendemain, à la résidence des Rothschild, à Ferrières, où le roi de Prusse allait prendre logement. L’entrevue de Haute-Maison n’avait été, en quelque sorte, qu’un entretien préparatoire, où l’on avait examiné des vues d’ensemble, sans aborder le sujet réel, qui était de découvrir un terrain de transaction propice aux concessions mutuelles. Bismarck était persuadé — et devait l’être — que Jules Favre était porteur de propositions sur lesquelles on finirait par s’entendre, et il était décidé, selon les usages de la diplomatie, à être d’autant plus exigeant que les offres qui lui seraient faites auraient moins d’ampleur.

Jules Favre commit, dès le début de cette seconde entrevue, une insigne maladresse que le dernier des secrétaires d’ambassade n’aurait jamais laissée échapper. À la question nettement posée par Bismarck : « Mais enfin, quelles sont les intentions du gouvernement que vous représentez ? » il répondit qu’il agissait en son nom personnel, sous sa propre responsabilité, mais qu’il ne doutait pas que ses collègues n’acceptassent et ne fissent accepter au pays les préliminaires d’un traité qui garantirait l’intégrité du territoire, mais que lui, simple négociateur volontaire, n’avait point qualité pour stipuler d’une façon définitive ; il serait donc nécessaire de faire des élections d’où sortirait une Assemblée nationale qui seule pouvait décider de la paix. C’était faire la partie trop belle à Bismarck ; il en profita.

À lire les circulaires que Jules Favre et Bismarck ont adressées à ce sujet à leurs représentants auprès des puis-