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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/172

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en matière militaire, avait amené avec lui le vice-amiral Fourichon, qui était un homme de guerre, avait présidé le Conseil d’amirauté et était de nature, de capacité, d’énergie à rendre des services à la défense du pays. Ce que l’amiral a dû penser des deux grandes inutilités auxquelles on l’avait adjoint, je n’en sais rien, mais je m’en doute. Il racontait volontiers, avec son sourire narquois, une anecdote qui en dit long sur les étrangetés de cette époque.

Un jour, à Tours, on le prévient qu’une députation de soldats demande à être admise en sa présence, pour lui faire une communication d’une gravité exceptionnelle. Cinq minutes après, l’amiral voit entrer une vingtaine d’individus portant un costume de matelot de fantaisie et représentant une compagnie franche de récente formation, dont il avait oublié la dénomination ; c’était, disait-il, quelque chose comme les Corsaires de la Gironde ou les Lascars de la Durance. Ils venaient le prier de leur faire délivrer des haches d’abordage, afin de pouvoir frapper l’ennemi de plus près et mortellement. L’amiral eut quelque peine à ne pas leur rire au nez et répondit qu’ils trouveraient probablement « cet article » dans les magasins d’accessoires du théâtre de la Porte-Saint-Martin, mais que depuis longtemps les arsenaux de l’État ne le « tenaient plus ». Voyant la mine déconfite de ces braves volontaires, il leur demanda qui leur avait fourré cette idée biscornue dans la tête. Ils répondirent : « C’est le citoyen Glais-Bizoin. — Il est à craindre qu’il ne se soit moqué de vous », dit l’amiral en les congédiant. Glais-Bizoin ne s’était pas moqué de ces marins de pacotille. Il fut de méchante humeur et disait : « Comprenez-vous Fourichon qui refuse de donner des armes aux soldats que je lui envoie ? »

Malgré sa volonté de bien faire, l’amiral n’y put tenir, il avait commencé et poursuivit avec succès l’organisation de la première armée de la Loire, de celle qui fut à Coulmiers ; mais l’ineptie de ses deux compagnons, les tracasseries dont ils l’accablaient, l’insanité des propositions qu’il était forcé de discuter avec eux le dégoûtaient à ce point que, comprenant l’inutilité de ses efforts, il donna sa démission (4 octobre) et alors Crémieux — oui, Crémieux — resta seul ministre de la Guerre, jusqu’au jour où Gambetta, dégringolant des nuages, souffla sur Crémieux, souffla sur Glais-Bizoin et s’empara de la dictature qui, entre leurs mains, était tombée en enfance.