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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/282

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sommes importantes, mais dont j’ignore le chiffre, avaient été déposées à la Banque de Londres ; elles assuraient les récompenses promises en cas de succès ou de larges compensations si l’aventure, tournant mal, entraînait la ruine des principaux acteurs. Un seul d’entre eux savait sur quel point du territoire l’Empereur avait l’intention de prendre pied ; les autres, prévenus par télégraphe, devaient immédiatement mettre leurs troupes en marche, afin de rallier, s’il se pouvait, la première colonne insurrectionnelle, ou du moins de se diriger sur Paris, qui forcément servirait de théâtre au dernier acte de cette équipée.

On croyait pouvoir compter sur le concours promis et l’on y comptait ; on était convaincu que nulle résistance sérieuse n’était à redouter de la part de la population ; on s’attendait à quelques vociférations que l’on était résolu de dédaigner ; à peine croyait-on pouvoir craindre, dans les grandes villes, une tentative d’opposition armée dont on viendrait facilement à bout. Sous ce rapport, on affectait, on éprouvait une confiance sans bornes ; on s’imaginait que l’on était attendu par la France, que l’on serait acclamé et que l’on allait simplement entreprendre une seconde représentation du retour de l’île d’Elbe. Mais que dirait l’Allemagne, l’Allemagne victorieuse, ayant encore un nombreux corps d’occupation en France, et qui ne se soucierait peut-être pas de laisser relever le trône qu’elle avait renversé ? Si la rentrée de Napoléon III à Paris avait pour résultat de déterminer un mouvement agressif de la part des troupes allemandes, c’était, pour le patriotisme même le moins scrupuleux, un devoir de s’abstenir et de renoncer à toute velléité de restauration impériale.

Il fallait donc savoir exactement ce que dirait Bismarck, et le seul moyen de connaître sa pensée de « derrière la tête » était de le prendre pour confident. Ce fut le général Fleury qui se chargea de la négociation et qui, ne pouvant, sans éveiller bien des soupçons, aller interroger lui-même le Chancelier, s’adressa à un intermédiaire choisi avec discernement. Le comte Chouvaloff, qui était dans l’intimité des Cours de Pétersbourg et de Berlin, qui était lié avec Bismarck, que Fleury avait connu, lorsqu’il représentait Napoléon III auprès d’Alexandre II, était en Suisse pendant l’été de 1872 ; Fleury alla le voir et, sans réserve, s’ouvrit à lui, en le priant de s’arrêter à Berlin, lorsqu’il retournerait en Russie, et de