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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/315

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fort de 120 voix. C’était un verdict de blâme infligé au maréchal. De ce jour, sa résolution fut prise ; il ne voulut plus d’un pouvoir qui lui imposait des obligations que ses convictions répudiaient. Il put accepter encore quelques mesures qui ne lui étaient que déplaisantes ; mais le jour où l’on toucha à l’organisation militaire, où l’on porta préjudice à ses vieux compagnons d’armes, il se retira (30 janvier 1879).

On a dit — je ne suis que l’écho d’un bruit qui a couru avec persistance — que le maréchal avait préparé un coup d’État, que des lettres de service avaient été adressées aux généraux sur lesquels il croyait pouvoir compter et qu’il était résolu à jeter hors de la politique, et même hors du territoire français, les principaux meneurs du radicalisme. Ce dernier mot est vague et je crois qu’il eût été trop élastique, si l’on s’en était servi pour délimiter les opinions. Du reste, les républicains étaient sur le qui-vive et, dès le lendemain du 16 Mai, plus d’un — Gambetta entre autres — avait fait ses malles. Après les élections du 14 octobre, une action directe du Maréchal-Président eût été une tentative de révolte contre la volonté que la France venait d’exprimer. Je crois que Mac-Mahon était, par les habitudes de toute sa vie, trop respectueux de la discipline pour s’insurger contre le jugement que le pays avait rendu, à son instigation même.

Le maréchal s’était retiré, le 30 janvier 1879, heureux de rentrer dans la vie privée et de ne plus être ballotté de Decazes à Simon, de Broglie à Dufaure. Le même jour, Jules Grévy, son successeur, fut proclamé président de la République par le Congrès, et Léon Gambetta fut élu président de la Chambre des députés. Ni l’un ni l’autre ne durent être étonnés, car depuis longtemps tous deux savaient à quoi s’en tenir. Entre le 16 mai 1877 et le 30 janvier 1879, un fait considérable s’était produit. Le 3 septembre 1877, Thiers était mort à l’âge de quatre-vingts ans, frappé par une attaque d’apoplexie, en pleine activité, en plein travail, en pleine ambition.

Le lendemain, dès sept heures du matin, Gambetta était chez Grévy et lui disait : « C’est vous qui êtes maintenant le chef du parti républicain ; le poste que nous réservions à Thiers vous revient de droit ; ce qui se passe déterminera la chute de Mac-Mahon à brève échéance ; il n’est pas assez fort nageur pour remonter le courant qui l’entraîne ; sa