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Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/162

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THÉOPHILE GAUTIER.

a autant de puissance que le rêve endormi. Tout ce qui lui rappelait la civilisation moderne, qu’il trouvait mal vêtue, étriquée, médiocre et d’une désespérante monotonie, lui paraissait odieux ; il n’a cessé de le répéter ; aussi sa rêverie, la bonne fée intime et consolante, lui vient en aide ; elle reconstitue pour lui des civilisations envolées et le fait vivre, selon son goût, dans des milieux dont la somptuosité légendaire, quoi qu’en puissent croire les poètes, n’a jamais été de ce monde. Qu’importe ? ces splendeurs, il les crée pour lui-même ; donc elles sont et il s’en délecte.

Il fait de longs voyages dans le passé, supérieurs au voyage en Espagne et au voyage en Italie, car c’est le voyage au pays des traditions embellies par le lointain des siècles. Il vit à Athènes au temps de Périclès et c’est peut-être à lui que Bacchide de Samos a donné sa chaîne d’or ; à Sardes, il a vu le dernier rejeton de la race des Héraclides périr sous les coups de Gygès amoureux de Nyssia ; en Égypte, il a regardé les flots de la mer Rouge engloutir l’armée de Pharaon, et plus tard, sous la dynastie des Ptolémées, il a compté les pulsations du cœur de Méiamoun tombant aux pieds de Cléopâtre. C’est ainsi qu’il échappait à sa propre existence et qu’il s’évadait de lui-même, pour aller se retremper dans tous les temps, dans toutes les contrées, avec des êtres de son choix qui le consolaient des banalités ambiantes et lui faisaient des confidences qu’à son tour il transmettait à ses lecteurs. Parfois même