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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/148

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son ambassadeur si, faute de bien savoir les coutumes de l’empire, il faisait quelque incongruité ; le Li pou, qui est le tribunal dont je parle, lui répondit galamment en ces termes, que les Pères de Peking traduisirent fidèlement par ordre de l’empereur. Legatus tuus multa fecit rustice. Votre ambassadeur a fait paraître en beaucoup de choses de la grossièreté.

Cette affectation de gravité et de politesse paraît d’abord ridicule à un Européen, mais il faut bien qu’il s’y fasse, à moins qu’il ne veuille passer pour incivil et grossier. Après tout, chaque nation a son génie et ses manières, et il n’en faut pas juger par les préventions de l’enfance, pour approuver, ou pour condamner ses mœurs et ses usages. Si en comparant les coutumes de la Chine, avec les nôtres, nous sommes tentés de regarder une nation si sage, comme une nation bizarre ; les Chinois à leur tour, selon les idées particulières qu’ils se sont formées, nous regardent aussi comme des barbares ; on se trompe de part et d’autre ; la plupart des actions humaines sont indifférentes d’elles-mêmes, et ne signifient que ce qu’il a plu aux peuples d’y attacher dès leur première institution.

C’est ce qui fait que souvent ce qu’on regarde dans un pays comme une marque d’honneur, est regardé dans un autre comme un signe de mépris. En bien des endroits, c’est faire un affront à un honnête homme que de lui prendre la barbe ; en d’autres, c’est témoigner qu’on a de la vénération pour lui, et qu’on veut lui demander quelque grâce. Les Européens se lèvent et se découvrent pour recevoir ceux qui les visitent ; les Japonais au contraire ne se remuent point, et ne se découvrent point, mais se déchaussent seulement, et à la Chine c’est une incivilité grossière de parler tête nue à une personne. La comédie et les instruments de musique sont presque partout une marque de joie, cependant on s’en sert à la Chine dans les funérailles.

Sans donc ni louer, ni blâmer des usages qui choquent nos préjugés, il suffit de dire que ces cérémonies, toutes gênantes qu’elles nous paraissent, sont regardées des Chinois comme très importantes au bon ordre et au repos de l’État : c’est une étude que de les apprendre, et une science que de les posséder : on les y forme dès leur plus tendre jeunesse, et quelque embarrassantes qu’elles soient, elles leur deviennent dans la suite comme naturelles.

Mais aussi tout étant réglé sur cet article, chacun est sûr de ne manquer à aucun devoir de la vie civile. Les Grands savent ce qu’ils doivent à l’empereur et aux princes, et la manière dont il faut qu’ils se traitent les uns les autres : il n’y a pas jusqu’aux artisans, aux villageois, et aux gens de la lie du peuple, qui n’observent les formalités que prescrit la politesse chinoise, et qui n’aient ensemble des manières douces et honnêtes. On le connaîtra par le détail où je vais entrer de ces cérémonies.

Il y a certains jours où les mandarins viennent en habit de cérémonie saluer l’empereur, et quand même il ne paraîtrait pas en public, ils saluent son trône, et c’est de même que s’ils saluaient sa personne. En attendant le signal pour entrer dans la cour du tchao,[1], ils sont assis chacun

  1. C’est la cour qui est devant la salle du trône