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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/168

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Comédies aux festins.

Après toutes ces cérémonies, on se met à table. C’est alors qu’on voit entrer dans la salle quatre ou cinq des principaux comédiens richement vêtus ; ils s’inclinent profondément tous ensemble, et frappent quatre fois la terre du front, au milieu des deux rangs de tables, le visage tourné vers une longue table dressée en forme de buffet, et chargée de lumières et de cassolettes remplies de parfums. Ils se relèvent, et l’un d’eux s’adressant au premier des convives lui présente un livre, en forme de longues tablettes, sur lesquelles sont écrits en caractères d’or les noms de cinquante ou soixante comédies qu’ils savent par cœur, et qu’ils sont prêts à représenter sur-le-champ comme pour le prier d’en choisir une.

Ce premier convive s’en excuse, et le renvoie poliment au second, avec un signe d’invitation, le second au troisième, etc. Tous s’excusent et lui font reporter le livre ; il se rend enfin, il ouvre le livre, le parcourt des yeux en un instant, et détermine la comédie qu’il croit devoir le plus agréer à la compagnie ; s’il y a quelque inconvénient à la représenter, le comédien doit l’en avertir. Un des inconvénients serait, par exemple, qu’un des principaux personnages de la comédie portât le nom de quelqu’un de ceux qui sont présents. Après quoi le comédien montre à tous les conviés le nom de la comédie dont on a fait choix, et chacun par un signe de tête témoigne qu’il l’approuve.

La représentation commence au bruit des instruments propres de cette nation : ce sont des bassins d’airain ou d’acier dont le son est aigre et perçant, des tambours de peaux de buffle, des flûtes, des fifres, et des trompettes, dont l’harmonie ne peut guère charmer que les Chinois.

Il n’y a nulle décoration pour ces comédies, qui se représentent pendant un festin ; on se contente de couvrir le pavé de la salle d’un tapis, et c’est de quelques chambres voisines du balcon que sortent les acteurs, pour jouer leur rôle, en présence des conviés, et d’un grand nombre de personnes connues, que la curiosité y attire, que les domestiques laissent entrer, et qui de la cour voient ces sortes de spectacles. Les dames qui veulent y assister, sont hors de la salle, placées vis-à-vis les comédiens, où à travers une jalousie faite de bambous entrelacés, et de fils de soie à réseau, elles voient et entendent tout ce qui s’y passe sans être aperçues. Les meurtres apparents, les pleurs, les soupirs, et quelquefois les hurlements de ces comédiens font juger à un Européen qui ne sait pas encore la langue que leurs pièces sont remplies d’événements tragiques.


Commencement du festin.

On commence toujours le festin par boire du vin pur : le maître d’hôtel, un genou en terre, y exhorte à haute voix tous les convives : tsing lao ye men kiu poi, dit-il, ce qui signifie ; on vous invite, messieurs, à prendre la tasse.

À ces mots chacun prend sa tasse des deux mains et l’élève jusqu’au front, puis la baissant plus bas que la table, et la portant tous ensuite près de la bouche, ils boivent lentement à trois ou quatre reprises, et le maître ne manque pas de les inviter à tout boire ; c’est ce qu’il fait le premier, puis montrant le fond de sa tasse, il leur fait voir qu’il l’a entièrement vidée, et que chacun doit faire de même.