Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un bon roi sert le Ciel, et marche dans la voie qui lui est marquée. C’est en obéissant à cette suprême volonté, qu’il partage l’empire en divers royaumes, qu’il y établit des rois, sur lesquels il se repose, et qu’il met auprès d’eux des gens habiles, pour les aider dans le gouvernement de leurs États : bien éloigné de ne penser qu’à ses plaisirs, il croit n’être né que pour faire le bonheur du monde. Il n’y a que[1] le Ciel seul, duquel on puisse dire qu’il voit, et qu’il entend tout par lui-même, et il n’y a que les bons rois, qui s’efforcent d’imiter en cela le Ciel, autant qu’ils peuvent. C’est pourquoi les grands officiers sont toujours pleins de soumission et de respect ; et leurs peuples jouissent en sûreté des douceurs de la paix.

La honte des rois ne vient que des ordres injustes qu’ils donnent et les révoltes des peuples ne naissent que des guerres que les rois font trop légèrement. Ne récompensez jamais qu’à propos. Il vaut mieux que les habits demeurent dans le coffre, que de les donner sans raison. Enfin examinez-vous bien vous-même, avant que de punir personne. Un roi qui remplit parfaitement ces quatre points, est vraiment éclairé, et tout conspire à le rendre heureux. La paix ou le trouble de votre empire dépend de ceux que vous avez mis en charge. Ne donnez donc jamais le plus petit emploi par faveur, à un sujet que vous savez n’en être pas capable et n’en confiez jamais aucun important à un méchant homme, quelques talents qu’il puisse avoir. Examinez sérieusement avant que d’agir, si ce que vous allez faire est bon, et quelque bon qu’il soit, voyez s’il est à propos de le faire dans un tel temps et en telles circonstances. S’imaginer qu’on a de la vertu, c’est n’en avoir que bien peu : et se vanter de son habileté, c’est perdre tout son mérite. Il faut en toutes choses avoir une grande prévoyance, c’est le moyen de détourner bien des malheurs. Qui prodigue ses grâces, s’attire du mépris : et qui ne rougit point d’être averti des moindres fautes, n’en commettra point de considérables. Tout consiste à bien régler votre cœur car

  1. Il y a deux commentaires sur cet endroit, dont les paroles sont remarquables : le premier qui s’appelle Ge ki, s’explique ainsi : Le Ciel, dit-il, ne parle point, et il se fait croire ; l’esprit souverain ne se fâche point, et il se fait craindre. Il est souverainement vérace ; c’est pourquoi il se fait croire. Il n’a aucune passion ; c’est pourquoi il se fait craindre. Le Ciel, en tant qu’incompréhensible, s’appelle Esprit ; l’Esprit, en tant qu’immuable et éternel, s’appelle Ciel. Quand on dit qu’il se fait croire, parce qu’il est très vérace, c’est-à-dire, qu’il a une très nécessaire et très certaine raison, qui ne se trompe jamais. Quand on dit qu’il se fait craindre, parce qu’il n’est point partial, c’est-à-dire, qu’il est la justice même, et qu’ainsi l’on ne se moque pas impunément de lui. Enfin, c’est parce qu’il est éternel, immuable, et incompréhensible, qu’on dit ici qu’il sait tout.
    Le second commentaire s’appelle Ge kiang. C’est celui du feu empereur Cang hi. Voici comment il s’explique : Le Ciel est au-dessus de tout ; rien n’est plus agréable ; rien n’est plus juste. Il est très spirituel, et très intelligent : il ne se sert point d’oreille, et il entend tout ; non seulement rien ne lui échappe dans l’empire du monde, mais dans les lieux les plus secrets et les plus cachés, il voit tout ce qui s’y passe ; il pénètre dans tout ; il examine tout. Voilà le modèle qu’un bon roi se propose : il n’aime, ni ne hait par caprice ; il ne suit que la droite raison dans les récompenses ; et ainsi on peut dire en quelque façon, que semblable au Ciel, il voit et il entend tout.