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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/550

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Enfin, Chi hoang, comme une bête féroce, après avoir cruellement déchiré tous les Tchu heou, engloutit, pour ainsi dire, l’empire entier, foula aux pieds toutes les lois de l’humanité et de la justice. Mais la vengeance de Tien[1] ne tarda pas à tomber sur lui et sur sa famille. Voilà ce que j’ose vous rappeler. Je vous prie d’y faire attention, et d’en profiter.

Il est vrai que communément un sujet fidèle et zélé, parlant sans déguisement, n’est guère écouté des princes ; et qu’assez souvent, sans leur être utile, il se perd lui-même. Mais il est encore plus vrai, que, sans un tel secours, il est rare et difficile qu’un prince gouverne bien. Aussi les princes les plus éclairés ont-ils un véritable empressement d’entendre des avis sincères : et les sujets véritablement fidèles, ne craignent point de s’exposer à la mort, pour donner au prince qu’ils servent, ce témoignage de leur zèle.

Mais il en est des princes à cet égard comme des terres. On a beau semer d’excellent grain sur un sol, qui n’est que pierre : bien loin de produire, il ne germe pas. Au contraire une terre grasse et bien arrosée, multiplie abondamment la semence la moins bonne. Par exemple sous Kié et Tcheou[2] les avis de trois grands hommes d’une éminente sagesse, Koan long, Ki tse, Pi kan n’eurent d’autre effet que de les faire périr. Sous Ven vang, tout au contraire ; non seulement ce qu’il y avait de gens éclairés, lui communiquaient volontiers et utilement leurs lumières ; mais il n’y avait pas jusqu’au moindre bûcheron qui ne dît librement sa pensée, et l’on en profitait si elle était bonne. Aussi Kié[3] et Tcheou[4] périrent-ils, et la maison de Ven vang fleurit.

Un bon prince fait donc, par rapport aux gens qui sont capables de l’aider, ce que fait une bonne terre par rapport aux grains qu’on y sème : il les nourrit et les multiplie autant qu’il peut. Telle est la force de la foudre, qu’il n’y a rien qu’elle ne brise. Qu’un poids de dix mille kiun[5], tombe d’en haut, il écrasera infailliblement ce qui se trouvera dessous. Or ces comparaisons sont encore trop faibles, pour exprimer ce qu’est à l’égard d’un sujet, l’autorité du souverain. Lors même qu’il ouvre le chemin aux remontrances, qu’il demande qu’on lui en fasse, qu’il les reçoit bien, et qu’il en profite, communément on craint encore, et il est rare qu’en ce genre on aille jusqu’où l’on pourrait aller. Que serait-ce si le prince aveuglé par ses passions, emporté, cruel, ennemi de tout avis, tombait de tout le poids de son autorité souveraine, sur ceux qui lui en donneraient ? Quand ils auraient toute la sagesse de Yao, et toute la fermeté de Mong puen, ils ne pourraient éviter d’en être écrasés. Mais aussi un prince de ce caractère serait bientôt abandonné à lui-même. Il

  1. Du Ciel.
  2. Deux méchants empereurs.
  3. Celui de la dynastie.
  4. Au reste le nom de la dynastie Tcheou, tout semblable qu'il est, écrit et prononcé à l'européenne, est très différent dans l'écriture et dans la prononciation chinoise du nom de ce méchant prince.
  5. Kiun était 30 livres.