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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/759

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Cependant V. M. ne veut point abandonner son dessein ; elle s’engage de plus en plus. Je vous avoue que cela m’étonne, et m’afflige également. Un fils qui a offensé père et mère, pense-t-il à les apaiser ? Plus posé, plus assidu, plus docile, et plus respectueux qu’il était avant sa faute, il fait sentir qu’il la reconnaît, et qu’il s’en repent. Moyennant cela on la lui pardonne. Mais si ce fils, au lieu de penser à rentrer en grâce, s’émancipait encore à troubler toute la maison, à gronder ou battre les domestiques en présence du père et de la mère, une telle conduite serait-elle propre à les apaiser ? Ce fils mériterait-il qu’on lui pardonnât.

Rappelez-vous donc, je vous en prie, les temps passés. Examinez ce qui a fait fleurir ou périr les dynasties précédentes. Surtout faites une attention particulière aux volontés de Tien et aux signes qu’il vous en donne. Renoncez à vos projets de guerre. Appliquez-vous à entretenir la bonne intelligence avec les États voisins ; à faire régner le bon ordre et l’abondance dans votre cour et dans tout l’empire ; à rendre heureux vos sujets, et à bien affermir par là votre maison sur le trône. Si je voyais cet heureux changement, je fermerais après cela les yeux sans regret, et fallût-il périr dans un bourbier, je mourrais content.

Kao tsou fondateur de la dynastie Han, avait acheté l’honneur du trône par la défaite de plus d’un prétendant brave et puissant. Quang vou ti restaurateur de la même dynastie, avait livré, pour la rétablir, bien des combats, et remporté autant de victoires. Cependant Kao tsou fut le premier à faire la paix avec les nations du nord. Quang vou ti reçut avec plaisir et reconnaissance les propositions qui lui furent faites par ses voisins de l’occident. Est-ce que ces deux empereurs manquaient de courage, ou d’habileté en fait de guerre ? Non, sans doute ; mais la longue expérience qu’ils avaient, leur faisait prévoir de loin, et prévenir sagement de fâcheux revers. V. M. au contraire tranquille au fond de son palais, prononce sans hésiter : qu’on attaque celui-ci, qu’on extermine celui-là. Peut-être suis-je trop timide : j’avoue que cette confiance me paraît bien excessive. Mais hélas ! que fais-je moi ? Quand on veut dissuader quelque chose au prince, il faut prendre bien son temps ; attendre qu’il en soit à demi dégoûté lui-même ; alors on y peut réussir aisément. Mais entreprendre d’arrêter la passion d’un prince, lorsqu’elle est dans sa plus grande force, c’est tenter une chose bien difficile. Cela est encore plus vrai de ce qu’on appelle ambition, passion de vaincre, et d’acquérir de la gloire. Ces passions ont un grand empire sur les cœurs. Quiconque en est possédé, fût-ce un petit lettré habillé de toile, tandis que la passion dans sa plus grande force lui échauffe l’esprit, il est bien difficile de l’arrêter. Oui, dans le fort d’une passion, pour écouter avec patience celui qui s’y oppose, pour faire céder ses propres vues aux avis d’autrui, pour en distinguer l’utilité et la justice, pour s’y rendre enfin malgré ses plus violents désirs ; il faut de ces grandes âmes, qu’une pénétration, une sagesse, et une modération supérieure élève beaucoup au-dessus du vulgaire.

V. M. toujours passionnée pour la guerre, y est maintenant plus échauffée que jamais. Je le vois, et si j’ose malgré cela vous en dissuader par ce