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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/825

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que vu la passion du roi pour Li ki, il n’y avait guère lieu de douter, que si le choix lui était tout à fait libre, il ne nommât Y you ; que s’il voulait bien appuyer ce choix, au cas que quelqu’un s’y opposât, le roi sans doute lui saurait gré de favoriser ses inclinations ; et Li ki de son côté l’assurait que si la chose réussissait, il serait en grand crédit auprès de son fils. Li ké donna sa parole, que si Chin seng périssait, à quoi il voyait peu d’apparence, il serait pour Y you, et saurait bien le soutenir ; il n’y avait plus qu’à presser la perte de Chin seng, pour ne pas laisser à Hien le temps de se repentir, ou de découvrir l’intrigue. On fit donc aussitôt courir au dehors le bruit de la prétendue révolte tramée par Chin seng mais heureusement découverte. On y répandit en même temps des chansons, qui supposant la chose certaine, la faisaient croire à tout le peuple, et confirmaient le roi même dans son erreur. Chin seng ne put soutenir la calomnie : il se donna lui-même la mort. Tchong Eul, frère utérin de Chin seng, craignit pour soi un sort semblable : il sortit hors du royaume, et se retira dans les États de Tsi. Hien kong sur ces entrefaites mourut sans avoir nommé son successeur. Ki tsi fils de Chin seng, et encore enfant, fut déclaré roi par les Grands du royaume. Li ké et son parti s’en défirent. Tcho tse frère de Ki tsi eut le même sort. Y you fils de Li ki fut mis sur le trône, mais il ne régna jamais en paix. Le royaume de Tsin fut toujours dans le trouble jusqu’à ce qu’enfin Tchong Eul frère de Chin seng y remonta après une absence de vingt ans, et fut reconnu pour roi légitime. Concluons que dans un État, il n’est rien de plus dangereux qu’une femme, pour qui le prince a une passion trop forte.




DES REMONTRANCES


Les fautes des souverains, dit Lieou hiang, tirent presque toutes à conséquence : ce sont comme autant de pas qu’ils font vers leur perte. Voir ces fautes, et se taire, quand on est en place, c’est avoir peu à cœur le salut du prince, et n’être pas sujet fidèle et zélé. Mais aussi ce zèle a des bornes. La plus commune règle en ce genre, est que quand on a fait jusqu’à trois fois sur un même point des remontrances inutiles, le meilleur parti est de quitter la place, et de se retirer. Sans cela on expose sa propre vie, malheur qu’un juste amour de soi-même doit prévenir. Se taire, quand le prince fait des fautes, c’est exposer le prince et l’État ; parler ferme, c’est souvent s’exposer soi-même à périr. N’importe, un vrai zèle doit plutôt nous faire exposer nos vies que de laisser en danger le prince et l’État, faute d’un avis salutaire. Mais quand on a parlé plusieurs fois, et toujours sans fruit, c’est assez[1]. L’habileté consiste à bien connaître le prince,

  1. Il y a des auteurs chinois, qui blâment celui-ci de borner ainsi le zèle pour l'État.