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Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/863

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Car quoique vous ne soyez pas gens à vous précipiter de plein gré dans ces désordres, il se pourrait faire que quelqu’un de vous destitué du secours qu’on tire d’une fréquente communication avec un bon maître et des amis vertueux, vînt à tomber sans y prendre garde en des fautes de cette nature. Examinez-vous sur cela avec la dernière exactitude, et repassant sur chacune de vos actions, si vous y trouvez quelque chose d’approchant, il faut promptement la rétracter par un repentir sincère ; mais sans vous laisser abattre, et sans vous ralentir. Eussiez-vous été jusqu’ici un très méchant homme, eussiez-vous même fait longtemps le honteux métier de voleur, il ne tient qu’à vous dès aujourd’hui d’effacer entièrement cette vieille tache, et de devenir sage et vertueux. Que si un homme ainsi changé venait à faire cette réflexion : ayant vécu comme j’ai fait jusqu’ici, j’aurai désormais beau faire, on traitera mon changement d’artifice et ma vertu d’hypocrisie ; bien loin qu’on en ait meilleure opinion de moi, cela fera naître contre moi de plus grands soupçons, et m’attirera de nouveaux reproches. Si cet homme après cette réflexion, disait courageusement en lui-même : qu’on pense ce qu’on voudra de mon changement, il est sincère, il sera constant ; et je consens volontiers de vivre et de mourir dans l’humiliation. O que j’estimerais un semblable courage !

Je dis en quatrième lieu, que sur les défauts des autres, il faut un zèle sage et modéré. Je ne prétends point par là vous détourner d’aider le prochain à devenir vertueux. Si nous devons nos premiers soins à notre propre perfection, nous ne devons pas non plus négliger celle de nos amis, sans manquer à un des plus essentiels devoirs d’une véritable amitié. Mais quand il s’agit de reprendre les autres, il y a manière de le faire utilement. Il faut que les avis que vous donnez, non seulement partent toujours d’un sincère attachement, mais qu’ils soient de plus exprimés en termes doux et honnêtes, qui tempèrent ce que la réprimande peut avoir de rebutant. C’est en ceci qu’il faut épuiser tout ce que l’amitié peut inspirer de tendresse, faire à propos les différents portraits des vertus pour les faire aimer, peindre les vices pour en donner de l’horreur, et faire tout cela d’une manière, qui puisse toucher sans choquer. Si l’on en use autrement, l’on commence par toucher trop rudement l’endroit sensible, sans donner à un homme le temps de se préparer contre la peine d’une confusion subite. En vain tâchera-t-on dans la suite de rapprocher cet esprit aigri, on l’a d’abord trop éloigné, et par là on l’a mis en danger de ne se corriger jamais.

C’est pourquoi ma pensée est que, quand il s’agit de corriger quelqu’un d’un défaut, la voie la plus efficace et la plus sûre n’est pas celle des paroles ; et quoique nous puissions la prendre entre nous, je ne voudrais pas trop la tenir à l’égard des autres. Je regarde comme mon maître quiconque attaque mes défauts : dans cette vue, je reçois avec plaisir et avec reconnaissance les avis qu’on me donne. Je sens combien je suis peu avancé dans les voies de la vraie sagesse. Hélas ! j’ai déjà perdu plusieurs de mes