Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous êtes déchu d’un degré du rang où vous étiez élevé : dites-vous à vous-même : eh bien, je vivrai avec moins de délicatesse et de splendeur ; mais je vivrai plus tranquillement. Êtes-vous hors du tracas des affaires ? Travaillez à votre perfection, et réglez vos vues et vos désirs. Êtes-vous en place ? examinez souvent votre conduite, mais surtout observez vos paroles.

Recevoir un outrage, et le recevoir sans se plaindre, parce qu’on appréhende le pouvoir de celui qui le fait ; ce n’est pas là la vertu de patience ; mais souffrir un mépris de celui dont on n’a rien à craindre : c’est ce que j’appelle être véritablement patient.

Le Ciel a produit les différentes sortes de grains pour la nourriture de l’homme : si l’on en use avec trop de réserve, l’on souffre la faim ; si on n’en prend point du tout, on n’est pas longtemps en vie. Il faut donc user de ces biens : mais est-il permis de les dissiper, comme font la plupart des riches, qui ne daignent pas veiller sur leurs domestiques, lesquels en font un prodigieux dégât ? Combien a-t-on vu de ces dissipateurs punis par les plus terribles fléaux, par les inondations, par les incendies, souvent même frappés de la foudre, pour avoir par cette négligence irrité la colère du Tien ? Tcho fan tien nou.

Ces grains qu’on dissipe de la sorte, sont durant trois saisons de l’année le fruit des rudes travaux des laboureurs. Voyez leurs pieds et leurs mains pleines de calus, et jugez de leur fatigue. Qui est celui-là, disaient nos pères, qui pense que tous les grains de riz qu’on lui sert dans un plat, ont été arrosés des sueurs de l’infatigable laboureur ?

Les cinq parties nobles de l’homme sont au-dedans du corps : on connaît qu’elles sont attaquées par la couleur du visage, et en tâtant le pouls. De même en entrant dans la salle d’une maison, vous jugerez aisément par les dehors, de ce qui se passe dans l’intérieur. Si le bon vieillard accourt lui-même pour vous recevoir, c’est signe que ses enfants n’ont ni naturel ni éducation. Voulez-vous juger si la maîtresse du logis est laborieuse et économe ? Voyez de quelle manière les enfants sont entretenus.

Dans le monde il y a différentes professions qu’on peut embrasser ; il y en a de bonnes, il y en a de dangereuses, et de mauvaises. Si vous choisissez les premières, votre cœur se maintiendra dans la vertu : si vous vous engagez dans les deux autres, il se pervertira. Ce premier choix est important pour toute la suite de la vie.

Un projet de plus que l’on forme, c’est une infinité de soins de plus, auxquels on se livre. Un homme qui a fait fortune, se propose de goûter les plaisirs qu’elle lui offre : il songe à bâtir, à avoir des jardins et des lieux de plaisance, à entendre des concerts, et à mener une vie voluptueuse. Qu’il serait bien plus heureux, s’il savait se borner !

Est-ce se conduire en homme raisonnable, que de vouloir passer une petite partie de la vie dans des joies excessives, et le reste de ses jours dans la tristesse et le chagrin ? Ce peu de beaux jours étant une fois écoulés, on ne voit plus ce visage épanoui comme autrefois : on ne voit qu’une mine renfrognée, des sourcils froncés, et un front ridé : on paraît tout à coup comme un arbre devenu sec et stérile.