Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Celui qui se porte à secourir les affligés, et à assister les pauvres à peu près avec autant de charité qu’il servirait un malade, sera bien éloigné de ne leur donner que de belles paroles et peu de secours. Ceux-même qui se sont rendus malheureux par leur faute, doivent avoir part à nos libéralités. Pour ce qui est du temps et de la manière de les faire, je dois avoir soin par rapport à moi, que le bienfait ne perde rien de son prix ; et par rapport au prochain, qu’il ait pour lui tout l’avantage qu’il en attend.

On dit communément que quand on se charge d’une affaire pour faire plaisir à un ami, on contracte l’obligation de s’y employer de toutes ses forces. Cette obligation est plus ou moins étroite, à proportion que l’affaire est plus ou moins importante.

Un parent, un ami, sur le point de mourir, voit une jeune femme délicate et un petit enfant fondre en pleurs, le prendre par ses habits, comme pour l’arrêter. Dans ces derniers adieux, où les entrailles sont déchirées, et où le cœur se fend de douleur, toute la ressource d’un pauvre moribond, c’est de recourir à celui de ses parents ou de ses amis, en qui il a reconnu un plus grand attachement pour sa personne, et de lui confier le soin de sa famille. La femme, les enfants qui sont autour du lit, se jettent aux pieds de ce parent, et implorent sa protection ; le moribond baigne son chevet d’un torrent de larmes ; sa langue voudrait parler ; mais ce qu’il aurait à dire est trop affligeant ; il la retient ; ses yeux voudraient encore jeter un regard ; mais il coûterait trop à son cœur ; il se l’interdit. Enfin après bien des combats intérieurs, d’une voix entrecoupée de sanglots, il déclare à ce parent ses dernières volontés, et lui confie ce qu’il a de plus cher. On ne peut être témoin d’un pareil spectacle, sans en avoir le cœur percé.

Ce parent commence d’abord à s’acquitter de son emploi de tuteur avec zèle : mais dans la suite il se néglige. S’il fait étudier les enfants, il ne veille pas à leur avancement dans les lettres : s’il les destine au commerce, il les laisse errer ça et là comme des vagabonds. C’est ainsi qu’il se refroidit de jour en jour : il ne songe point à marier avantageusement ces pauvres pupilles ; s’ils viennent à tomber malades, ou à souffrir du froid, de la faim, et des autres incommodités, son cœur y est insensible : enfin il oublie entièrement et les recommandations de son ami mourant, et les protestations qu’il lui fit, lorsque cet ami expira entre ses bras. Il porte souvent bien plus loin l’inhumanité. Il profite de la qualité de tuteur, pour inventer mille chicanes qui l’aident à usurper le bien de ses pupilles. Des gens de ce caractère méritent que la terre les engloutisse tous vivants : son devoir était de veiller à l’éducation et à l’établissement de ces pauvres orphelins qui lui avaient été confiés, comme s’ils eussent été ses propres enfants : la plume et la langue ne peuvent exprimer les obligations qu’impose une pareille confiance.

Si votre voisin vient de perdre son père, et qu’il se prépare à faire ses obsèques, ce n’est point le temps de vous régaler : si l’on entendait alors chanter dans votre maison, on se persuaderait que vous insultez à son affliction.