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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/35

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rien n’est caché au Chang ti : la nuit est pour lui aussi claire que le jour : il perce dans les réduits les plus secrets, où la malignité du cœur humain voudrait se dérober à sa vue : il est présent partout, et il porte sa lumière dans les détours les plus obscurs du labyrinthe impénétrable, où l’on essaierait de se cacher.

C’est à cette occasion qu’un vénérable vieillard, âgé de quatre-vingt-quinze ans, nommé Oei vou kong, fit une ode qu’il se faisait chanter tous les jours à la porte intérieure de son palais. En vain, dit-il, la force humaine prétend-elle établir un État, si le seigneur du ciel n’y met la main pour l’affermir. Il s’écroule à la première secousse : c’est une eau, qui non loin de sa source va se perdre et se tarir dans le premier sable de la plaine : c’est une fleur qui s’épanouit le matin, et qui se flétrit le soir. Tout un peuple se corrompt à l’exemple d’un méchant roi.

Suen vang fut plus religieux que son père Li vang. Cependant son règne fut traversé par des calamités publiques : une année de sécheresse désola l’empire. Ce prince s’en plaint amèrement dans le Chi king : « A la vue de ces campagnes desséchées, dit-il, comment un cœur ne serait-il pas desséché de tristesse ? Si le Chang ti qui peut tout, ne daigne pas jeter un regard de compassion sur moi, tandis que je lui fais le grand sacrifice pour la pluie, hélas ! que deviendra mon pauvre peuple ? Il faut qu’il périsse de faim. Ne vaudrait-il pas mieux que la colère du Ciel tombât sur moi seul, et que mon peuple fût soulagé ? »

Je ne pousserai pas plus loin cette énumération. Il suffit de voir, par ce que rapportent les livres classiques, que, pendant plusieurs siècles consécutifs, c’est-à-dire, durant plus de deux mille ans, la nation chinoise a connu, respecté, et honoré par des sacrifices un Être suprême, souverain maître de l’univers, sous le nom de Chang ti, ou de Tien.

Si l’on compare ces anciens maîtres de la doctrine chinoise, avec les anciens sages du paganisme, on y trouvera une grande différence : ceux-ci semblaient ne prêcher la vertu, que pour se donner sur le reste du genre humain une supériorité, qu’ils n’avaient pas du côté de la fortune : d’ailleurs ils dogmatisaient d’une manière fastueuse et pleine d’ostentation ; et l’on s’apercevait qu’ils cherchaient moins à découvrir la vérité, qu’à faire briller leur esprit : au lieu que les maîtres de la doctrine inculquée dans les King[1], ce sont des empereurs, des premiers ministres dont la vertu donnait un grand poids à leurs instructions, qui observaient les premiers les lois gênantes qu’ils imposaient, et qui débitaient leur morale, sans user de détours et de subtilités, mais d’un air simple et naïf, d’une manière pratique, et qui tendait à la réformation des mœurs par la voie la plus courte.

Il semble que ce serait faire injure à ces premiers Chinois, qui ont suivi la loi de la nature, qu’ils avaient reçue de leurs pères, que de les taxer d’irréligion, parce qu’ils n’avaient pas une connaissance aussi nette, et aussi distincte de la divinité, qu’on l’a eue depuis dans le monde chrétien.

  1. On nomme ainsi les livres canoniques.