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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/39

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De la secte des Tao sseë[1]


Lao kiun est le nom du philosophe, qui inventa cette nouvelle secte. Sa naissance, si l’on croit ce qu’en racontent ses disciples, fut des plus extraordinaires ; et, selon le rapport fabuleux qu’ils en font, il demeura pendant quatre-vingt ans dans les flancs de sa mère ; ce fut par son côté gauche qu’il s’ouvrit lui-même un passage, et qu’il vit le jour. Un si prodigieux enfantement causa peu après la mort à celle dont il avait reçu la vie.

On a encore ses livres, mais qui ont été, à ce qu’on croit, fort défigurés par ses disciples ; quoiqu’on ne laisse pas d’y trouver des maximes et des sentiments dignes d’un philosophe sur les vertus, sur la suite des honneurs, sur le mépris des richesses, et sur cette heureuse sollicitude d’une âme, qui s’élevant au-dessus de toutes les choses humaines, croit pouvoir se suffire à elle-même.

Parmi ces sentences, il y en a une qu’il répétait souvent, surtout lorsqu’il parlait de la production de cet univers. Le Tao, disait-il, ou la raison a produit un, un a produit deux, deux ont produit trois, et trois ont produit toutes choses. Il semble par là qu’il ait eu quelque connaissance de la divinité ; mais c’était une connaissance bien grossière.

La morale de ce philosophe et de ses disciples est assez semblable à sa morale, celle de nos Épicuriens. Elle consiste à écarter les désirs véhéments, et les passions capables de troubler la paix et la tranquillité de l’âme. Selon eux l’attention de tout homme sage est de passer sa vie sans chagrin et sans sollicitude, et pour cela de bannir tout retour sur le passé, toute recherche inutile de l’avenir.

Ils prétendent que de s’agiter de soins inquiets, que de s’occuper de grands projets, que de se livrer à l’ambition, à l’avarice, et aux autres passions, c’est travailler plus pour ses descendants, que pour soi-même ; et que c’est être insensé que d’acheter le bonheur des autres, aux dépens de son propre repos et de sa félicité ; que s’il s’agit même de son propre bonheur, il ne faut se le procurer qu’avec des soins modérés, et ne pas s’abandonner à des désirs trop violents ; parce que ce qu’on regarde comme bonheur, cesse de l’être, s’il est accompagné de troubles, de dégoûts, et d’inquiétude, et si la paix de l’âme en est tant soit peu altérée.

C’est pourquoi ceux qui faisaient profession de cette secte, affectaient un repos, qui suspendait, disaient-ils, toutes les fonctions de l’âme. Et comme ce repos ne pouvait manquer d’être troublé par la pensée de la mort, ils se flattèrent de trouver un breuvage, par le moyen duquel on pourrait devenir immortel. Ils s’adonnèrent à la chimie, et s’entêtèrent de la pierre philosophale : ils eurent pareillement recours à la magie, et

  1. Ce terme signifie, Docteur de la loi.