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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/46

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seule histoire le fera connaître : c’est le père le Comte qui la rapporte, comme étant arrivée à lui-même, lorsqu’il demeurait dans la province de Chen si.

« On m’appela, dit-il, un jour, pour donner le baptême à un malade : c’était un vieillard de soixante-dix ans, qui vivait d’une petite pension, dont l’empereur l’avait gratifié. Dès que j’entrai en sa chambre : Que je vous suis obligé, mon Père, me dit-il, vous m’allez délivrer de bien de peines. Non seulement, lui répondis-je, le baptême délivre de l’enfer, mais il conduit encore à une vie bienheureuse. Quel bonheur pour vous d’aller au ciel jouir éternellement de Dieu ! Je n’entends pas bien, répartit le malade, ce que vous me dites, et peut-être aussi ne me suis-je pas bien expliqué : vous saurez, mon Père, que je vis depuis longtemps des bienfaits de l’empereur. Les bonzes, parfaitement bien instruits de ce qui se passe en l’autre monde, m’assurent que par reconnaissance je serai obligé après ma mort de le servir ; et qu’infailliblement mon âme passera dans l’un de ses chevaux de poste, pour porter dans les provinces les dépêches de la cour. C’est pour cela qu’ils m’exhortent à bien faire mon devoir, dès que j’aurai pris ce nouvel état ; à ne point broncher, à ne point ruer, à ne point mordre, à ne blesser personne : courez bien, me disent-ils, mangez peu, soyez patient, par là vous attirerez la compassion des dieux, qui souvent d’une bonne bête, font à la fin, un homme de qualité, et un mandarin considérable. Je vous avoue, mon Père, que cette pensée me fait frémir, et je n’y songe jamais sans trembler : j’y songe néanmoins toutes les nuits, et il me semble quelquefois durant le sommeil que je suis déjà sous le harnois, prêt à courir au premier coup de fouet du postillon. Je me réveille tout en eau, et à demi troublé, ne sachant plus si je suis encore homme, ou si je suis devenu cheval. Mais, hélas ! que deviendrai-je, quand ce ne sera plus un songe ?

« Voici donc, mon Père, le parti que j’ai pris. On m’a dit que ceux de votre religion ne sont point sujets à ces misères ; que les hommes y sont toujours hommes, et qu’ils se trouvent tels en l’autre monde, qu’ils étaient en celui-ci. Je vous supplie de me recevoir parmi vous. Je sais bien que votre religion est difficile à observer ; mais fût-elle encore plus rude, je suis prêt de l’embrasser ; et quoi qu’il m’en coûte, j’aime encore mieux être chrétien que de devenir bête. » Ce discours, et l’état présent du malade, me firent compassion ; mais faisant ensuite réflexion que Dieu se sert même de la simplicité et de l’ignorance, pour conduire les hommes à la vérité, je pris de là occasion de le détromper de ses erreurs, et de le mettre dans la voie du salut. Je l’instruisis longtemps : il crut enfin ; et j’eus la consolation de le voir mourir, non seulement avec des sentiments plus raisonnables, mais encore avec toutes les marques d’un bon chrétien.

On voit que si les Chinois sont les dupes d’une doctrine aussi absurde et aussi ridicule, que celle de la métempsycose, les bonzes, qui ont tant de zèle à la répandre, n’en retirent pas un petit avantage. Elle sert merveilleusement à toutes les fourberies qu’ils emploient pour arracher des aumônes, et grossir leurs revenus : tirés de la lie du peuple, et entretenus dès leur enfance dans une profession oisive, ils trouvent