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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/52

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fond de la salle et au milieu ; chacun vient se prosterner devant lui, et va ensuite se ranger modestement à droite et à gauche sur deux lignes. Quand le temps est venu, on récite ces prières secrètes et impies, et l’on finit par se mettre à table, et se plonger dans la débauche : car ce sont de plaisants jeûneurs, que les Jeûneurs de la Chine. A la vérité ils s’interdisent pour toute la vie l’usage de la viande, du poisson, du vin, des oignons, de l’ail, et de tout ce qui échauffe ; mais ils savent bien s’en dédommager par d’autres mets qu’ils se procurent, et surtout par la liberté qu’ils ont de manger autant de fois qu’ils veulent, à toutes les heures du jour.

Il ne faut pas croire non plus que cette sorte d’abstinence, coûte beaucoup à un Chinois : on en voit une infinité, qui, sans être Jeûneurs de profession, se contentent de riz et d’herbes pour leur nourriture, faute d’avoir de quoi acheter de la viande. On ne doit pas de même s’étonner que ceux de cette secte soient si fort attachés à cette abstinence, que rien ne puisse la leur faire rompre. C’est pour eux un métier facile, dont ils retirent d’assez bons revenus.

Quand on est une fois parvenu au degré de Sseë fou, et qu’on a su se faire un grand nombre de disciples, le tribut que chaque disciple est obligé de payer aux jours qu’on s’assemble, monte dans une année à une somme assez considérable : outre que le métier de jeûneur est un excellent vernis qu’on passe sur tous les désordres d’une vie infâme et libertine, et qu’on se met dans une réputation de sainteté, qui s’acquiert à très peu de frais.

Enfin il n’y a point de stratagèmes, ni de ridicules inventions, auxquelles ces ministres de Satan n’aient recours, pour maintenir leurs dévots et dévotes dans l’attachement qu’ils ont au culte du Dieu Fo, et pour les aliéner des prédicateurs de l’Évangile. Tantôt ils leur font accroire que ces Européens, qui se sont introduits depuis plus d’un siècle dans l’empire, ne cherchent qu’à se fortifier par le nombre de leurs disciples, pour exécuter des desseins pernicieux à l’État ; qu’ils se font des disciples à force d’argent ; et que l’argent ne leur manque pas, parce qu’ils ont le secret de le contrefaire ; tantôt qu’ils arrachent les yeux de leurs disciples, pour en faire des lunettes et observer les astres ; d’autre fois que leur dessein, en venant à la Chine, est de faire des recrues d’âmes, dont il y a disette en Europe ; que quand on meurt, après s’être une fois livré à eux, on ne peut plus leur échapper ; et que par le moyen de certains sorts qu’ils jettent sur les âmes, ils les forcent de passer en Europe. Voyez, ajoutent-ils, à quoi l’on s’expose.

Ces extravagances débitées avec une certaine confiance, et avec un ton d’autorité, ne laissent pas d’imposer à des esprits crédules. Cependant il faut avouer qu’elles ne font pas beaucoup d’impression sur les honnêtes gens : quelque apparence de piété qu’affectent les bonzes, on connaît leur vie, et on sait que la plupart d’entr’eux sont perdus de débauches : ils n’ont pas même beaucoup d’accès auprès d’un certain peuple, qui ne pense qu’à vivre, et dont toute la religion ne