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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/201

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AUX GLACES POLAIRES

dans cette union intime, surnaturelle, et vous fort peu de choses, si ce n’est pourtant la consolation qu’on trouve toujours à savoir qu’on est aimé avec franchise et sincérité. Bien des hivers ont passé sur nos têtes depuis ce temps-là ; nous sommes aujourd’hui les vieux du sanctuaire, et je me retrouve à votre égard, tel que j’ai toujours été, avec ce quelque chose de plus fort et de plus parfait que l’âge, la réflexion et les épreuves ajoutent aux impressions d’une verte jeunesse.

Votre tendre amitié s’est parfois enflammée, et vous m’avez servi des reproches fortement épicés : merci, très cher ami ! Tout a contribué à resserrer les liens déjà si forts dès le principe. L’ami qui flatte est dangereux, même dans son amitié ; celui qui égratigne tire le mauvais sang et sauve la vie. Dieu vous a fait buisson ardent…

Adieu, cher Seigneur et ami. Quand reviendra le beau vieux temps du Nord ? Jamais, parce que pour qu’il revînt, il faudrait être simples soldats, et nous sommes malheureusement capitaines. Au ciel donc, et tout sera fini !


Lorsque, l’été 1889, Mgr Faraud descendit de la voiture, appuyé sur le Frère Boisramé, son vieux serviteur, Mgr Taché le reconnut à peine, tant il était voûté, délabré, vieilli. Il l’embrassa en pleurant :

— Pauvre ami, lui dit-il, que vous êtes changé !


Le concile de Saint-Boniface fini, et sur les représentations de Mgr Taché, Mgr Faraud donna sa démission de vicaire apostolique et de supérieur des missions de l’Athabaska-Mackenzie. Ce lui fut un dur sacrifice. Il exprima le désir que l’on nommât le Père Grouard pour son successeur. Sa prière fut exaucée : mais il ne devait l’apprendre qu’au ciel.


Espérant cependant rester toujours au service du cher vicariat, il acheta, à Saint-Boniface, une maison dont il confectionna lui-même les meubles, et dont il disposa les appartements en vue d’y recueillir les vétérans du Nord, à mesure qu’ils tomberaient de vieillesse ou d’infirmités. Il écrivait à Mgr Clut :


La maison dont j’ai fait l’acquisition est moins pour moi que pour tous les preux, vieux, infirmes, épuisés de fatigue de notre triste Nord. Je ne serais plus père, le jour où, par manque de prévoyance, j’aurais exposé mes enfants, les braves des braves, à devenir le rebut de la terre. Ils ont bien fait leur journée : payons-les généreusement !