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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/255

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AUX GLACES POLAIRES

car le froid n’est pas rigoureux aujourd’hui, et j’aime à contempler le ciel avec ses milliers d’étoiles, tout en récitant force chapelets, ce qui est le bréviaire du missionnaire en voyage. Cependant les chiens trottent, trottent, trottent toujours, secouant leurs grelots argentins ; c’est le seul bruit qui se fait entendre… Cela deviendrait monotone, si quelque petite aventure n’intervenait parfois. Par exemple, il ne faut pas s’imaginer que la surface du lac soit unie comme un trottoir de bitume ou de macadam. Il y a bien, de-ci delà, quelques aspérités plus ou moins saillantes, un bordillon, un banc de neige, que sais-je ! Et comme la carriole n’a pas quarante centimètres de large, il suffit de bien peu de chose pour lui faire perdre l’équilibre. D’où vous comprenez que le pauvre personnage qui y est étendu est maintes fois renversé, non le visage contre terre, mais contre la croûte glacée, dont le baiser vous donne le frisson. Durant le jour, le cher frère qui me conduit peut m’éviter la plupart des accidents ; mais, pendant la nuit, il doit se contenter de me relever et de me réintégrer dans ma carriole jusqu’à la prochaine culbute.


Sa prison roulante ne le retiendra pas d’ailleurs plus qu’il ne le voudra :


Je vous dirai en passant, que j’ai encore fait l’essai de mes jambes, et que vraiment, je n’ai pas trop de raison de m’en plaindre. Pour ce qui est de courir, non, j’y renonce, je ne le puis plus ; mais s’il s’agit de faire une bonne pipe à la raquette, comme on dit[1], quelques heures de marche régulière, je m’en suis trouvé capable.


L’hiver suivant, après Noël, il est pris dans l’épaisseur d’une forêt, entre le lac Wabaska et le Petit Lac des Esclaves :


Les deux premiers jours, nous allons assez bien, les gens qui sont venus à la fête ayant battu le chemin ; après cela, plus de trace de personne ! Le Frère Poulain, mon compagnon, et moi, nous marchons en avant à tour de rôle, une hache à la main

  1. La pipe était l’unité de mesure des coureurs-des-bois ; et elle l’est demeurée pour les Indiens du Nord, lorsqu’ils veulent apprécier les distances : « Il y a tant de pipes d’un fort à tel autre. J’ai tué un ours à trois pipes d’ici » veulent dire : « Dans cet espace, le voyageur s’arrêterait tant de fois, le temps d’allumer sa pipe et de se reposer un peu. » La longueur de la pipe varie avec la saison, l’état des neiges, des bordillons, et le courage du marcheur. Elle représenterait une moyenne de quatre à huit kilomètres. Un saint homme ne répondait-il pas à qui s’informait de la distance qu’il y avait d’un certain endroit à un autre : « La longueur de trois chapelets. »