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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/296

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LES CASTORS

comme ils se reposaient sur le rivage, le canot, mal assujetti, se détacha et partit, sous leurs yeux, emportant les vivres, les armes, les couvertures, les ustensiles, tout, excepté une hache qu’ils avaient pris machinalement, en sautant à terre. Ils étaient là, naufragés, en chemise, pantalon et mocassins, sans une once de victuailles, devant 240 kilomètres à parcourir, parmi les nuées de maringouins, à travers des bois inextricables, où le seul instinct des sauvages pouvait diriger la marche.

Ils mirent leur confiance en Dieu et en Marie, et s’engagèrent dans les fourrés.

Le deuxième jour, les mocassins étaient usés, et les pieds se posaient, au vif, sur les cailloux et les ronces. La faim tiraillait les estomacs. Les heures de sommeil auxquelles les affamés devaient céder transportaient leurs rêves en présence de tables chargées de festins et enivrées de symphonies : mais au moment de toucher à ces viandes et à ces coupes, ils s’éveillaient.

« — Mes guides blasphémaient Dieu, rapporte le missionnaire, incapables de comprendre comment Celui que le prêtre invoque avait pu les abandonner ainsi. »

Une pluie, qui tombe près de trois jours, les oblige à patauger dans des mares continuelles. Sur les rivières étroites, le Père Husson jette, en guise de passerelles, des arbres qu’il abat. À une large rivière qu’ils rencontrent, ils avisent une chaussée de castors : elle s’est brisée ; il faut établir un pont, du rivage à cette chaussée, qui est, elle-même, à deux pieds sous l’eau. Aidés d’un bâton, les voilà passant, l’un après l’autre, sur cette arête étroite, entre deux précipices où les vagues s’entrechoquent sourdement. Un soir, ils découvrent des pistes de chasseurs. Ils les suivent. Déception ! Ces Indiens sont eux-mêmes réduits à la disette. Plusieurs n’ont rien mangé depuis une semaine. Cependant ils en tirent un grand secours : se faire traverser sur la rive droite de la rivière la Paix, et s’abréger ainsi la marche d’une journée.

Enfin, le septième jour, en loqués, massacrés des moustiques, « si amaigris qu’ils se font peur l’un à l’autre », ils tombent au milieu des bons Indiens du fort Vermillon.

Mon Dieu, combien coûtent les âmes !